Ce qui suit, à propos de Roger Kowalski, est directement (et librement) emprunté à des textes de Brémond non encore publiés. La rencontre a lieu dans son appartement. « Il était assis sur le bord du lit que les dessins recouvraient de leur dessus-de-lit chamarré. La haute fenêtre pleine d’un ciel de lait chaud coulait menu sur ce plat du jour. Le peintre, les mains d’enchanteur brassant son œuvre éparse et sortant de ce vrac une feuille après l’autre, n’avait plus d’yeux que pour ceux de cet homme venu voir s’il pourrait s’éprendre d’une peinture encore inconnue. » Ils se voient ensuite à la galerie : « Ce temps pas si lointain où parfois, de bon matin, alors que Lyon n’en était encore qu’à se débarbouiller au jet d’eau fraîche, il arrivait que l’on surprît, reclus au fond de sa galerie (de sa discrétion, de sa solitude), Roger Kowalski travaillant à mettre ses poèmes au net. Navré de le distraire, de l’arracher au merveilleux pour quatre paroles ordinaires, on s’apprêtait à tourner les talons quand son accueil, balayant l’excuse comme feuilles mortes, offrait aussitôt avec sa conversation les fenaisons de ses prairies naturelles. »
C’est également la Galerie K qui accueille la signature du recueil “Un pourboire de bruissements”, de Gabriel Vartore-Néoumivakine, publié par un troisième poète : Guy Chambelland. Tous se connaissent bien.
1975 est en quelque sorte une année d’ouverture. Petite cependant, car Guy Brémond, qui n’est pas du tout ce que l’on appelle un renfermé, s’enferme à la fois par préservation et par nécessité : peindre ou écrire exige le silence et la solitude Par conséquent de ne pas être en bute à l’hostilité de l’indifférence, ni de s’exposer à l’inconvénient d’une brutale vulgarité (“On perd son feu à vouloir le communiquer à ces morceaux de glace : il faut jouir de soi-même dans la solitude”, écrivait Stendhal). On peut certes avoir une activité dans le bruit et la foule. Mais il semble impossible de sentir profondément, d’aimer et créer pareillement, ailleurs que dans le recueillement. Brémond n’est pas comme certains qui sont capables de se diviser, d’avoir deux langages, deux personnes, l’une au travail de l’œuvre, l’autre au travail de la promotion de l’œuvre. Se consacrer simultanément aux deux – qui sont sans doute complémentaires, voire indispensables –, requiert de la part de celui qui s’y adonne le pouvoir royal de savoir ménager la chèvre et le chou. Ou plutôt de manger à ceux des râteliers triés sur le volets, qui offrent les moyens de faire sa place au soleil social. Mais une ouverture quand même, puisque dès lors les expositions vont se succéder, jusqu’à même se chevaucher, à un rythme soutenu. Et ceci jusqu’en 1977.
Au demeurant on vient le voir dans son atelier. Tel Jean-Marie Broca, violoncelliste, qui n’hésite pas à grimper les cinq étages de cette vielle maison de la Croix-Rousse, pour
s’installer comme chez lui et jouer d’affilée les Partitas pendant que Brémond, qui vibre autant qu’une corde de violoncelle, travaille sans désemparer. Les y rejoint Jean-François Hamelin qui,
aidé de Jean-Marie Broca, parviennent à arracher de sa couleur, puis à entraîner avec eux un Brémond bougonnant pas mécontent… Les cinq étages ne sont pas non plus pour effrayer Jacques Oudot,
médecin o.r.l., mais aussi peintre. Comme on voit, l’amitié ne manque pas le rendez-vous de l'existence, cet or en
barre.
Que
constituent également Madame et Monsieur Jean-Claude Czyba, qui n’hésitent pas à escalader l’immeuble Croix Roussien pour visiter un atelier, son peintre et ses peintures. Ils ne repartent
d’ailleurs pas les mains vides : ce sont de ces personnes dont l’art du discernement a le cœur battant dès qu’une beauté s’en empare.
Pourtant, tout en acceptant bien volontiers ces chaleureuses présences, Brémond est d’ores et déjà dans un monde qui va bientôt le radicaliser. En effet, sa peinture exprime une beauté jusque-là dissimulée dans les halliers de l’extrême discrétion, sinon de la pudeur. Une beauté qui mois après mois apparaît dans la plus extrême simplicité même, dans toute la nudité de son cops. Elle ébahit. Peut-être parce qu’elle est offerte le plus naturellement qu’il soit, sans chichis, sans apparat intellectuel ni prétention psychologique, sans non plus les faux-semblants ni les caricatures d’un art primitif ou premier qui feint lla brutalité ou la naïveté - jusqu’à même l’innocence de l’enfance : un ramas de toc qui est aux antipodes de “l’enfance de l’art”, laquelle est au contraire en pleine complication, tarabiscotée, dans le mensonge vénal et melliflue.
À cette époque, faire connaissance avec un tableau de Brémond, c’est se trouver de plain-pied avec l’extrémisme de l’amour : la douceur. Une douceur toujours intrépide, audacieuse. Sa vigueur est celle dont sont faites les tendresses convaincantes : on est littéralement sous le charme. Comment ne pas céder à une pareille beauté ? Est-ce que l’on regimbe devant la plénitude d’une sérénité, d’un soir que la nuit dénude lentement ?…