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13 juin 2009 6 13 /06 /juin /2009 06:14
Soir

            Ce qui suit, à propos de Roger Kowalski, est directement (et librement) emprunté à des textes de Brémond non encore publiés. La rencontre a lieu dans son appartement. « Il était assis sur le bord du lit que les dessins recouvraient de leur dessus-de-lit chamarré. La haute fenêtre pleine d’un ciel de lait chaud coulait menu sur ce plat du jour. Le peintre, les mains d’enchanteur brassant son œuvre éparse et sortant de ce vrac une feuille après l’autre, n’avait plus d’yeux que pour ceux de cet homme venu voir s’il pourrait s’éprendre d’une peinture encore inconnue. » Ils se voient ensuite à la galerie : « Ce temps pas si lointain où parfois, de bon matin, alors que Lyon n’en était encore qu’à se débarbouiller au jet d’eau fraîche, il arrivait que l’on surprît, reclus au fond de sa galerie (de sa discrétion, de sa solitude), Roger Kowalski travaillant à mettre ses poèmes au net. Navré de le distraire, de l’arracher au merveilleux pour quatre paroles ordinaires, on s’apprêtait à tourner les talons quand son accueil, balayant l’excuse comme feuilles mortes, offrait aussitôt avec sa conversation les fenaisons de ses prairies naturelles. »

C’est également la Galerie K qui accueille la signature du recueil “Un pourboire de bruissements”, de Gabriel Vartore-Néoumivakine, publié par un troisième poète : Guy Chambelland. Tous se connaissent bien.

1975 est en quelque sorte une année d’ouverture. Petite cependant, car Guy Brémond, qui n’est pas du tout ce que l’on appelle un renfermé, s’enferme à la fois par préservation et par nécessité : peindre ou écrire exige le silence et la solitude Par conséquent de ne pas être en bute à l’hostilité de l’indifférence, ni de s’exposer à l’inconvénient d’une brutale vulgarité (“On perd son feu à vouloir le communiquer à ces morceaux de glace : il faut jouir de soi-même dans la solitude”, écrivait Stendhal). On peut certes avoir une activité dans le bruit et la foule. Mais il semble impossible de sentir profondément, d’aimer et créer pareillement, ailleurs que dans le recueillement. Brémond n’est pas comme certains qui sont capables de se diviser, d’avoir deux langages, deux personnes, l’une au travail de l’œuvre, l’autre au travail de la promotion de l’œuvre. Se consacrer simultanément aux deux – qui sont sans doute complémentaires, voire indispensables –, requiert de la part de celui qui s’y adonne le pouvoir royal de savoir ménager la chèvre et le chou. Ou plutôt de manger à ceux des râteliers triés sur le volets, qui offrent les moyens de faire sa place au soleil social. Mais une ouverture quand même, puisque dès lors les expositions vont se succéder, jusqu’à même se chevaucher, à un rythme soutenu. Et ceci jusqu’en 1977.

Au demeurant on vient le voir dans son atelier. Tel Jean-Marie Broca, violoncelliste, qui n’hésite pas à grimper les cinq étages de cette vielle maison de la Croix-Rousse, pour s’installer comme chez lui et jouer d’affilée les Partitas pendant que Brémond, qui vibre autant qu’une corde de violoncelle, travaille sans désemparer. Les y rejoint Jean-François Hamelin qui, aidé de Jean-Marie Broca, parviennent à arracher de sa couleur, puis à entraîner avec eux un Brémond bougonnant pas mécontent… Les cinq étages ne sont pas non plus pour effrayer Jacques Oudot, médecin o.r.l., mais aussi peintre. Comme on voit, l’amitié ne manque pas le rendez-vous de l'existence, cet or en barre.
                Que constituent également Madame et Monsieur Jean-Claude Czyba, qui n’hésitent pas à escalader l’immeuble Croix Roussien pour visiter un atelier, son peintre et ses peintures. Ils ne repartent d’ailleurs pas les mains vides : ce sont de ces personnes dont l’art du discernement a le cœur battant dès qu’une beauté s’en empare.  

Pourtant, tout en acceptant bien volontiers ces chaleureuses présences, Brémond est d’ores et déjà dans un monde qui va bientôt le radicaliser. En effet, sa peinture exprime une beauté jusque-là dissimulée dans les halliers de l’extrême discrétion, sinon de la pudeur. Une beauté qui mois après mois apparaît dans la plus extrême simplicité même, dans toute la nudité de son cops. Elle ébahit. Peut-être parce qu’elle est offerte le plus naturellement qu’il soit, sans chichis, sans apparat intellectuel ni prétention psychologique, sans non plus les faux-semblants ni les caricatures d’un art primitif ou premier qui feint lla brutalité ou la naïveté - jusqu’à même l’innocence de l’enfance : un ramas de toc qui est aux antipodes de “l’enfance de l’art”, laquelle est au contraire en pleine complication, tarabiscotée, dans le mensonge vénal et melliflue.

À cette époque, faire connaissance avec un tableau de Brémond, c’est se trouver de plain-pied avec l’extrémisme de l’amour : la douceur. Une douceur toujours intrépide, audacieuse. Sa vigueur est celle dont sont faites les tendresses convaincantes : on est littéralement sous le charme. Comment ne pas céder à une pareille beauté ? Est-ce que l’on regimbe devant la plénitude d’une sérénité, d’un soir que la nuit dénude lentement ?…



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13 juin 2009 6 13 /06 /juin /2009 06:09

Soir

 

 

Elle ne vient ici que le soir, mais presque tous les soirs. Non comme d’autres vont au café ou ailleurs dans un monde peuplé d’amis, de paroles et de chaleur, mais comme personne ne va se remplir le visage triste d’une pureté calme.

Elle vient et s’assoit au bord du bois qui est aussi le bord du ruisseau qui coule, qui roule et roucoule au pied des arbres. Lisière ondée d’émeraude, brodée d’éclats d’eau douce et sombre alentie brièvement, profonde, et nuagée d’améthystes.

Elle vient, s’assoit, et aussitôt le silence fait son œuvre. Un silence assis en face d’elle, un silence pénétrant, une femme enfin pénétrable. Un silence qui comme le peintre devant son modèle, se pénètre de l’âme avant d’en créer la chair. Elle ne savait jusqu’alors que le nom du silence. Elle le connaît dorénavant de vue, de l’ouïe et de près. D’un prénom si proche qu’il la touche, et qu’elle en est touchée. Tous les soirs. Nul besoin de tendre la main, l’oreille ni l’esprit : à peine arrive-t-elle que déjà tous les bords de ce monde l’entourent, resserrent leur étreinte, l’embrassent. Elle sent d’ailleurs très exactement venir se poser sur sa bouche la bouche du silence.

Elle s’assoit, écoute, puis contemple et goûte. Goûte le soir qui la goûte et y prend goût. La pénombre pelue apprécie en effet la pâleur de sa peau tendre, et le silence affectionne l’aveu de ses yeux grands ouverts sous le couvert des arbres. Un regard qui l’écoute avec le même état d’âme que les oiseaux de nuit le veillent.

Elle est là tous les soirs. Ou presque. Le presque étant l’ordre des choses humaines : des lois, du travail, de l’argent, des horaires… De l’accident.

Elle est donc là tous les soirs. Précisément là, au bord du bois, au bord du ruisseau, au bord de nuit. À écouter, à regarder, à respirer, à s’émouvoir des grandes voix du silence pétrir la pâte du temps mêlée au levain du soir. Des voix de laine jaune d’or ou d’or vert qui tremblent en se pressant la pulpe des lèvres sur les pénombres émues : le chant juteux du crépuscule. Des voix venues d’orées nacrées de nuit, nuit blanche d’avant sa naissance bleu nuit et nue. Des voix au vol duveteux, de longues voix rivulaires timbrées de lune fluviatile. Des voix de sève et de sang : des baisers de raisin roux, de vigne à la peau pruinée de femme au bain… Elle écoute ce silence étreindre sa chair, la modeler de l’intérieur où cette beauté reste à demeure.

Elle revient ici tous les soirs puisqu’aucun n’arrive jamais à sa fin. Elle y vient vite, ou plutôt elle est déjà là, venue on ne sait comment, sans bruit, sans se faire remarquer. Sans doute  commence-t-elle à ressembler au miraculeux silence. Elle prend d’ailleurs racine en épousant un hêtre gris contre lequel elle s’assoit, laissant alors ses pieds effleurer l’eau vive tendue comme la corde d’une guitare grave, une eau qui tintinnabule ensuite, ruisselante, et qu’arpège le courant vif. Peut-être revient-elle parce qu’elle commence à se sentir belle de la même manière que le silence, avant que les oiseaux ne hululent, commence à se sentir beau… ?

Elle sait bien que le silence n’est pas un corps de bois mort, pas plus qu’il n’est une absence ou une sombre créature qui se tait, ténébreuse et têtue. Elle sait maintenant que le silence est le miracle inclus dans le mystère. Un mystère qui comme toutes les beautés craint le bruit, qui comme tout amour s’effraie de la brutalité, qui comme toute création, essor de soie, de pudeur et de tulle, a peur des viols et de toutes les violences. Aussi devient-elle semblable au soir qui est un corps de hautbois que baise le souffle du silence.

Elle vient, et elle est comme chez elle. Car ici déjà moins laide que dans la rue, les vitrines, que dans le regard des autres et le sien surtout – qu’on lui retourne sans jamais un mot d’excuse, et encore bien moins un demi-mot d’amour… Le ruisseau ritournelle, chaconne et passacaille de sa dentelle ouverte en éventail, chuchuchotant de ses sourires de jupe déplissée, ris qui glissent, cristaux adorablement cassés sur un lit roux de cailloux lisses et roulés. L’ombre.

Elle vient et reste assise là, tout au bord, presque à tomber dans le soir. Assise au bord de sa vie, brindille sur l’aile de son assiette d’où émane une odeur de bois vieux, du buis amer des maisons vieilles aux parterres de dahlias lourds, un effluve qui d’une main aussi sûre que le cri des oiseaux exquis, lui confie qu’ici tout est semblable à la chair pacifiée des fruits confits.

Elle vient, s’assoit… Et le soir s’accomplit. Mystérieusement. Il est vrai qu’il y a de l’amour ardent dans l’air frais, que le cœur y est et qu’aucun homme n’est là pour tuer le temps.

Elle est seule. Il fait sombre, il fait beau.

Elle vient, s’assoit, et devient belle.

                                                                                             La beauté  Guy Brémond

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12 juin 2009 5 12 /06 /juin /2009 07:20


    En manière d’épigraphe : « …Mais ils se donnent l’impression d’avoir progressé et crû, parce que les autres ont régressé et décrû. Et si tout était diminué au point d’être réduit au néant, en quoi ton corps et ton âme seraient-ils grandis pas là ? » Guigues 1er le Chartreux.

 

    Le silence dont il s’agit fait autant de bruit qu’une flamme. Celle de Guy Brémond, toujours debout, l’éclaire sans qu’il s’y brûle. On se réchauffe au silence de cet amour comme la beauté se donne. Celle qui, de 1971 à 1975, naît du pinceau de ce peintre est une beauté sauvage – comme on dit pour les bêtes et les fleurs –, autrement dit libre. Un renouveau. Il est vrai qu’à partir d’un certain stade de maturité, chaque peinture, et bientôt chaque prose, est une prima vera libre, sauvage, qui ranime sa flamme et dont la danse immobile rappelle le silence de l’univers .

    Le progrès et la croissance ne font en l’occurrence qu’un seul homme qui se mesure avec lui-même. Ces années-là sont celles où, travaillant sans cesse, l’œuvre se constitue, mais lentement. Peu de peintures, donc ; qu’il peut cependant achever d’un coup, ou bien durant de longs mois. Dans l’un et l’autre cas, ces tableaux viennent d’une longue patience. La lumière de certains corps célestes, pour fulgurante qu’elle soit, met des millions d’années pour toucher l’œil d’un homme collé à son télescope, un homme qui examine une lumière qui a tout son temps. La lumière de certaines œuvres a elle aussi besoin d’un outil qui la rapproche de l'homme. Non pas un télescope ou un microscope, mais un œil qui, parfaitement relié au cerveau a, par l’intermédiaire de ce dernier, la capacité d’accélérer suffisamment les pulsations cardiaques pour que ce muscle creux, ce cône de sang, entre en éruption et irrigue ainsi les encéphales jusqu’à l’œil qui voit alors enfin clair. Et dire que tant d’hommes restent à la surface pelliculaire de l’amour, d’un quintette, d’une femme, d’une porcelaine, d’une peinture, d’une sculpture, d’un poème et d’eux-mêmes…

    Pour Brémond, le Sacre du printemps a lieu chaque matin, jusqu’au soir. Peindre équivaut alors à cultiver la nature libre et sauvage, la beauté née simple (et non double ou triple comme certaines espèces florales exagérément cultivées), qui n’a donc pas besoin des prothèses et des artifices dont s’emberlificotent ceux qui précisément cultivent la culture, ce qui est la définition de l’académisme, celui de tous les temps, puisqu'il procède de la même mentalité qui fait des ravages depuis des millénaires.

    C’est encore au cours de ces années 70 que Brémond fait des rencontres qui comptent. Deux hommes : Georges Dureau et Roger Kowalski.

    Georges Dureau est cardiologue, un chirurgien pionnier des transplantations cardiaques. Il est violoniste.

    « […] Et j’ai la même réaction qu’avec mon violon qui me porte maintenant vers les “gens”, je veux leur dire comment sont les choses, ce que sont pour nous la vie ou la mort… N’est-ce pas aussi important qu’une sonate ? »

“ Chirurgie à cœur ouvert”

    Roger Kowalski est poète :

    « Le temps sur vous mettra ses ronces blanches, l’eau vous couronnera d’une aigrette salée ;

    ayez pour moi les yeux du bel octobre, parlez à moi qui suis par l’ombre dessiné ;

    qu’un seul regard disperse mes oiseaux, je vous retrouve ; qu’ils reviennent, l’aube seule à mon départ s’enflamme. »

    “À l’oiseau à la miséricorde”

 

    Roger Kowalski ouvre une galerie pour y donner à voir, à connaître, à aimer ses amis graveurs, ses amis peintres. C’est la Galerie K. Quai de Bondy, à Lyon. Brémond y expose en 1975.







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11 juin 2009 4 11 /06 /juin /2009 07:11

      

    Toutes ces années, de 1967 à 1975, sont fructueuses à plus d’un titre. Pour ne s’en tenir qu’à la peinture, ces huit ans de travail sont un approfondissement de la forme et du fond qui débouche sur une expression dont la concision ne le cède qu’à la puissance de la douceur. C’est en tout cas ce qui résulte de la contemplation de certaines de ses œuvres les mieux abouties d’alors, pour ne pas dire les plus achevées. Ce que ne verront que bien peu de personnes, non pas uniquement parce que le peintre fréquente peu – et pratiquement pas du tout ce qu’il est convenu d’appeler les mondanités, grâce à l’activité desquelles maint artiste parvient à faire parler de lui –, mais aussi parce que celles qui réussissent à percer jusqu’à lui n’ont pas toutes le regard approprié pour voir autre chose que des couches de peinture, que l’aspect plastique, formel, le côté bizarre, insolite, décapant, déjanté, provocateur, etc. (tel est en effet le vocabulaire dont usent jusqu’à l’abus les dilettanti qui, par exemple, au lieu de dire qu’Untel expose ses œuvres, bizantinisent à ravir en s’écoutant corriger : Untel présente son travail…)

    Une période qui cependant, pour l’homme Brémond, est assez agitée, encombrée de rencontres, accablée d’initiatives, riches d’événements qui ne l’empêchent pas de rester pauvre. Mais ceci concerne sa biographie proprement dite, ce qui n’est pas le sujet principal de cette chronique. Néanmoins, comme les dates coïncident (à peu près), c’est peut-être le moment de citer ici un poème de Gabriel Vartore-Néoumivakine, précisément dédié à Brémond :

 

“ Sainte pauvreté”.

 

comme si doter le monde

d’un amour qui engorge toute chose

ne Lui suffisait

Dieu parfois enrichit le sein d’une pauvresse

d’une mine de beauté

dont le gisement est à ciel ouvert

 

leurs yeux jouent de la prunelle

avec cette infinie tendresse

qui est bien le seul domaine où les gueux

se sauvent par la quantité

 

ton dieu de justice

s’est mis en frais pour te garnir le sein

afin qu’au moins la nuit ton amant indigent

ne s’endorme les mains vides

 

avec une aumône

de tendresse

l’aile du cœur

se remplume

 

le beau monde privé d’amour

tire le diable par la queue

au lieu que chez les pauvres

avec un rien de caresses

le sein arrondit sa fortune

 

(Paru en septembre 1979, dans Verso poésie à Lyon, n° 14)

 

    Des années durant lesquelles sa ténacité ne connaît aucun relâchement. Il passe sa vie enfermé dans son atelier au cinquième étage, sous les toits (d’où il a une vue charmante, plongeante et panoramique sur une partie de la ville qui dégringole sur le fleuve et s’arrête au bord d’un parc qu’il parcourt parfois, de très bonne heure, le matin, lorsqu’il est assez désert pour y jouir du chant des merles). On ne peut l’en extirper qu’à la condition impérative d’être pourvu d’une tentation, d’une séduction, d’une beauté. Bien entendu il ne s’agit pas fatalement d’une femme (bien que la triade : homme, peintre, écrivain, éprouve une invincible inclination pour la femme). Cet atelier – où d’ailleurs, outre la vue citée plus haut, il acquiert une vue de Sirius particulièrement sagace – est le lieu où la peinture devient, selon les heures et les jours, tendresse, intrépidité, jubilation, douceur, amour, vigueur… Des choses qui ne se font pas sur la place publique, ni sur les bancs, même si l’on s’y bécote ; des choses qui imposent silence, discrétion, intimité. Ce qui n’est pas intime est académique, et peut donc être exhibé sur la place publique, et vendu… Tenace, Brémond trace d’un trait sûr un destin d’amour et de silence.

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10 juin 2009 3 10 /06 /juin /2009 06:05

     Laisser ce métier bizarre, c’est ce qu’a toujours systématiquement fait Brémond. Ce qui lui vaut sans doute de rester si peu connu de ceux qui aiment la peinture… Qui aiment par conséquent la beauté ; beauté des choses, des objets, des paysages et des visages, des corps et des âmes, de la bonté et de la santé puisque la beauté est la plénitude de la santé. Santé physique et santé morale. Pour les Grecs la beauté était l’expression même de l’intelligence, de la raison et du langage. Tous les langages, puisque de nature humaine, expriment la maîtrise de soi : de l’architecture à la tragédie, de la sculpture à la politique, de l’agriculture à la philosophie et à la vertu, qui est toute la beauté de l’homme ; beauté utile qui donne du plaisir. Car si la vertu n’est pas un plaisir elle est un vice, une démesure, quelque chose de barbare, contraire à l’harmonie, à l’ordre, à l’ornement, à l’univers.

      Voilà des hommes qui seraient heureux de s’asseoir devant une peinture de Brémond. Sans faire des ronds de bouche ni de phrases, sans chichis ni discourir. Ce n’est du reste pas très poli de parler alors que le silence donne à qui le regarde la science de l’amour. Parler (même en chuchotant et en mettant la main devant sa bouche) devant une peinture équivaut à parler de la pluie et du beau temps (au mieux) en lisant un poème, ou à se moucher, se racler la gorge, tousser, en écoutant un Trio de Brahms ou de Milhaud. Bref, la politesse élémentaire consiste à respecter le silence du peintre : sa peinture.  Les salles d’exposition sont hélas bien plus souvent des salles de brouhaha que d’admiration, de même qu’une salle de concert se termine toujours par des tapements, des claquements, des hurlements… Il est vraiment curieux que l’homme n’ait rien trouvé de mieux, depuis tant de millénaires, pour manifester son contentement, son enthousiasme, que de faire du bruit en tapant ses deux pattes de devant l’une contre l’autre – quand il ne tape pas des pieds ! On est aux antipodes de la beauté : on est dans la vulgarité.

      La preuve est faite depuis longtemps : il est difficile d’être beau. Non pas de le faire ! Le faire est trop facile. Mais bien de l’être. Un être qui est quasiment dix fois sur dix le contraire agressif et exhibitionniste de l’avoir. Ce disant, on ne quitte pas du tout Brémond. N’écrivait-il pas justement, à propos d’équité sociale (l’avoir, et son double le dû), dans un livre lucide, qui d’ailleurs a tellement déplu, qu’il est dorénavant introuvable : « On paie le salaire en argent, le salaire de la peine et sa sueur. Laquelle est salée. Une suée provoquée par le travail, un sel sorti de l’homme par la blessure que cette torture lui inflige – et que le sel du salaire est censé cautériser… Un salaire qualifié par le maître d’abstergent (qui nettoie les plaies), lequel employeur en saupoudre alors l’employé, le salarié. Littéralement salarié, si l’on veut bien se souvenir que le verbe saupoudrer veut dire : poudrer de sel (sau). Il n’y a décidément que le supérieur, le p.-d. g (ou pédégé), pour faire des miracles en parvenant à se saupoudrer de sucre, à se sucrer ! »

      L’amoureux d’une peinture, d’une œuvre en général, s’identifie à celle-ci, comme dans l’amour d’une femme et d’un homme. Une identification qui contient la réciprocité. Or s’identifier à un chef-d’œuvre – un quatuor, une femme, un paysage, etc. – sous-entend nécessairement son préalable, le respect du principe d’équivalence : être soi-même un chef-d’œuvre. On l’a dit : il est difficile d’être beau. C’est pourtant, dans toutes les extensions des sens physique, moral, affectif ou intellectuel, le travail. La seule gratuité qui paie sans compter et toujours à l’avance. Car la vie est courte, et il arrive souvent que l’on meurt avant d’avoir achevé le travail… Le poète René Guy Cadou écrit avec beaucoup de justesse : « Il arrive parfois qu’une plante, dans un sursaut de vigueur, fasse éclater le vase. Tout le dommage est pour le vase. Mettez-la en pleine terre, elle continue son voyage »…

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9 juin 2009 2 09 /06 /juin /2009 06:28

    

          Lien pour Jean-François Hamelin :  link (cliquer sur : Les artistes, puis sur H-J, puis Hamelin)

        Entre 1965 et 1967, une rencontre a lieu, une amitié. En effet, après le poète Gabriel Vartore Néoumivakine, le sculpteur Jean-François Hamelin est l’une de ces très rares amitiés que Brémond cultivent de la même manière farouche et passionnée qu’il crée. Car ces amitiés-là sont exactement symétriques de la création, qu’elle soit picturale, littéraire ou musicale. Et s’ils se décident à faire une exposition commune, c’est bien parce que l’affinité élective est réelle, efficiente, durable. Ceci en dépit des vicissitudes et même des drames de la vie qui ne les épargnent pas.

            S’ils travaillent naturellement chacun dans leur atelier, ils vont cependant assez souvent ici et là dessiner ensemble. C’est au cours de ces années que Brémond affermit et affirme son dessin, qu'il en affine le trait net et bref, ou bien large et continu. Plus que jamais indifférent aux avants comme aux arrières-gardes qui, comme les extrêmes se touchent, s’entendent comme larrons en foire pour faire marcher leur commerce, il consacre tous ses efforts non seulement à la maîtrise d’une forme qui doit retenir l’attention, mais, de plus, à rendre son expression précise, concise, voire laconique. Les œuvres qui sortent de cette forge bénéficient ainsi d’une poésie qui vient précisément de la sévérité de l’exécution.

          Parler de peinture, de dessin, de musique, c’est toujours parler dangereusement. Cela fait songer à cet appareil, le “théâtrophone”, avec lequel Proust a écouté Pelléas… Parler ou écrire sur la peinture, ce n’est, quoi qu’on prétende ou espère, jamais donner à voir, et c’est souvent, en croyant même annoncer la couleur, attacher le grelot à des phrases et périphrases qui se paient de mots. Ou bien l’on se borne à décrire (jamais fidèlement, bien entendu), et c’est pire : on donne un objet naturalisé par ses soins, empaillé, qui d’ailleurs et de surcroît porte les traces laissées par les mains gantées de prudence, une naphtaline. Certes, il existe des modèles. Mais ils sont d’une telle perfection qu’il faut bien se garder de les prendre précisément pour modèles : ce serait le plus sûr moyen de se noyer dans sa propre goutte d’eau. N’est pas Diderot qui veut (lorsqu’il écrit sur Chardin, par exemple), ou Baudelaire, ni même Élie Faure, pour n’en citer que trois parmi les plus connus. Il y a évidemment les professionnels, ceux qui rédigent des articles sur les expositions… Mais là on touche à un métier excessivement bizarre. Laissons donc


 

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8 juin 2009 1 08 /06 /juin /2009 07:02

 

             Brémond expose sa peinture, non pour la première fois, mais pour la première fois qui compte, en 1965. Si la télévision en parle et en montre, ce n'est cependant pas cette initiative qui détermine la suite non programmée d'une ascension intérieure qui débouchera, bien plus tard, à la pratique d'une œuvre ou d'un art voué exclusivement à l'amour (« - Eh ! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger ? - J'aime les nuages... les nuages qui passent... là-bas... les merveilleux nuages ! » Baudelaire). Ce qui en effet engage, inspire son existence, c'est l'expression, jusque-là silencieuse, d'un poète. L'occasion pour l'un d'affirmer sa foi en une œuvre toujours présente et toujours à venir, et pour Brémond, qui découvre ce "fortifiant", d'affirmer son absolu.

            Car dès 1965, pour cet encore jeune peintre, son art ne peut souffrir aucune mode, aucun dernier cri. Il ne sera jamais "témoin de son temps", c'est-à-dire d'un moment qui passe, et, forcément, d'un passé momentané. On peu dire qu'il refuse d'êtremoderne coûte que coûte, de tout faire pour l'être, quitte, comme la plupart, à s'accrocher à la voiture-balai de la peinture (littérature, etc.) qui, à peine née, est d'ores et déjà académique, dotée de ses palmes et lauriers, fortune faite. C'est ainsi que l'avant-garde et consorts sont pour lui les signes ostensibles de ce qui se fait, de la trop fameuse peinture contemporaine dont le truisme est capable de tout, y compris de se nier. La foule, disait La Bruyère, est telle qu'elle se laisse berner par les cuistres de service avec l'enthousiasme du candide heureux d'être loué pour son génie. De sorte que Brémond n'a pas même à se boucher les oreilles, à se faire attacher au mât de son navire : les sirènes peuvent bien chanter juste ou faux, bien ou mal, il ne les entend pas. Et pour cause : il écoute le silence. C'est la seule musique capable de rivaliser avec "l'éternel silence de Dieu". À ceci cependant près que pour Brémond, ce qui est éternel pour l'homme en général et pour lui en particulier, ce n'est ni Dieu ni son langage, mais le langage de l'absolu : on aime ou on n'aime pas. Pour lui la peinture est le silence du baiser.

            C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles sa peinture est concrète, et non abstraite. Il peint au sens propre et premier, et son geste, son acte, son dessin, sont semblables aux mots dont le bon sens est d'abord concret. L'acte, comme le mot, est simple, jamais compliqué, et par conséquent toujours difficile. D'où l'exigence impérieuse de constamment travailler au maximum de ses forces, de sa sensibilité, de ses capacités. Tension, efforts, qui imposent une discipline sans relâche. Au moindre relâchement, tous les germes pathogènes de la distraction et de la facilité prennent la place, et c'est aussitôt la médiocrité et son alter ego la vulgarité qui s'arrogent haut la main la réputation faisandée et la gloire avariée.

            1965, est donc pour Brémond, l'année de cette prise de conscience qu'il ne cessera plus d'aciérer et d'acérer. 1965 est aussi l'époque où nous faisons connaissance, précisément à l'occasion de cette exposition.

            La prochaine aura lieu en 1967.  

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7 juin 2009 7 07 /06 /juin /2009 08:22



 

Guy Brémond est peintre et écrivain. C’est d’ores et déjà tout dire. Il faut pourtant parler de lui, puisqu’il demeure caché par le rideau de l’indifférence, qui n’est jamais bien loin de l’ignorance. Parler non pas tant de sa personne proprement dite – qui du reste n’intéresserait guère de monde, trop exonérée qu’elle est de bonds et rebondissements à couper le souffle –, que de son œuvre. Et parler de celle-ci non pas en critique averti, en historien de l’art, en esthète, en spécialiste ou professeur (je ne suis rien de tout cela), mais en homme épris de beauté, de celle qui bouleverse et commotionne comme de celle qui émeut, qui émerveille jusqu’à procurer l’impossible paix et l’inespérable sérénité.

C’est donc à ce voyage intérieur que je convie ceux pour qui l’amour est la source de toute création, ceux qui ne se paient ni de mots ni de farces et attrapes, ceux qui ne craignent ni le froid ni le chaud, seulement la tiédeur et les rodomontades de la rhétorique triomphante.

           Je n’ai qu’un avantage : mon amitié pour l’homme me fait coïncider, sinon même si bien m’ajuster à l’œuvre, qu’il me semble parfois (comme on s’identifie au héros d’un roman) la créer en la regardant. Puisse chacun bénéficier d’une telle connivence, et en s’appropriant ce dont il s’émerveille, il naisse pour toujours à soi-même.





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Il n’est peut-être pas tout à fait inutile de montrer le visage de l’homme auquel ce blog est consacré. L’esprit ayant besoin d’un support physique, grâce à l’intimité duquel il sait parfaire sa connaissance. La photo ci-contre date des années 1970.

 

 

 

 

 

 

 

 

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