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12 juillet 2009 7 12 /07 /juillet /2009 06:01


On ne connaît jamais la pensée des autres. Et ce n’est certainement pas parce que certains  affirment dire ce qu’ils pensent que l’on en connaît pour autant mieux la pensée : ce qu’ils nous confient n’est jamais plus grand que le petit doigt. Le fameux : “mon petit doigt me l’a dit”, l’auriculaire le bien nommé. Lequel, en effet, en dit si bien dans le tuyau de l’oreille que l’on en connaît aussitôt long comme le bras : on fait parler une peinture comme on fait parler les morts, et comme on pense à la place des autres.

Le poète s’exprime toujours de manière allusive, et le peintre ne nous donne qu’une image suggestive. Dans l’appropriation immédiate d’une œuvre, on oublie l’auteur. En vérité toute notre mécanique sensible écarte à notre insu absolument tout, radicalement tout ce qui ne concerne pas notre rapport intime et actif avec cette œuvre. La sagesse des nations, qui vaut bien celles des soi-disant sages qui trônent dans nos gouvernements (sans parler de ceux qui font profession d’être philosophes), dit que Jean se marie avec Isabelle et non pas avec les parents de sa belle.

Que sait-on, que peut-on savoir du poète, qu’est-il utile de connaître du peintre ? L’homme, dira-t-on. Mais, parce que c’en est obligatoirement un par le fait même que son œuvre enchante le nôtre, il se cache derrière son arbre, de sorte que l’on ignorera toujours la forêt, l’impénétrable forêt. Certes, il arrive parfois – ou souvent, c’est selon – que l’on saisisse des lambeaux, des miettes, des anecdotes, des dates, des choses et d’autres sur cet homme qui n’est pas public comme sont les jardins, les bancs… Mais ces courtes giboulées d’informations ne nous servent finalement que de papier d’emballage, le papier cadeau qui enveloppe l’œuvre comme un placenta. – Inutile de préciser que nous ne parlons pas ici des exhibitionnistes qui se complaisent à se raconter par le menu, leur narcisséenne, mais subalterne vanité ne parle qu’à leur futile reflet.

Si l’homme est dans l’œuvre après avoir été dans l’homme, cette œuvre qui est maintenant nôtre est dans notre être dont alors l’humanité se donne à elle. À moins que ce ne soit plus vraisemblablement l’œuvre qui la saisisse si bien qu’il se produit là une véritable transsubstantiation.

De même qu’un clou chasse l’autre, un homme chasse l’autre ; une manière de dire qu’il devient le poète ou le peintre. Enfin presque. Heureusement, puisque c’est par la grâce de ce presque (équivalent au jeu nécessaire pour assurer le mouvement du piston dans le cylindre, par exemple), de ce presque rien, que nous pouvons être amoureux sans être amoureux de soi-même, que nous pouvons admirer sans nous admirer. Or c’est dans ce rien que subsiste l’homme, le créateur.

La seule façon de le connaître ne consiste donc surtout pas à aller tambour battant “l’interviewer” : on peut être certain qu’on repartira avec le caméscope ou le magnétophone plein à craquer de peaux de banane. Juste rétribution à la curiosité faite voyeurisme. Non, le seul moyen de faire réellement connaissance, consiste au contraire à ne cesser de toujours mieux aimer, mieux admirer, puisque l’essentiel de l’homme est là, dans ce sentiment même, ce sentiment plénier qu’il a fait naître par une simple suggestion, une ellipse, un rien, tel le tableau ci-dessus (qui me donne l’occasion d’avouer que je suis un piètre photographe), de Guy Brémond.

Klšon Ámisu pantÒj, la moitié est plus que le tout, disait Hésiode. Ici, c’est le rien qui  est plus que le tout : il est l’œuvre, il est l’homme augmenté de l’homme. C’est la raison pour laquelle en matière d’amour – de création – on ne peut que considérer l’absolu. Ou alors il ne s’agit que d’œuvrette et d’amusette, de blabla et de frivolité.

Et c’est bien en cela qu’une œuvre, si matériellement modique qu’elle soit, parvient à l’universel.

 

« Il remonte la rue, étrécie comme un fil par tous les marchands de charcuterie, de miel, de pain de seigle, de pain d’épices… Il se faufile et arrive devant la face d’une église très vieille et très ramassée sur une petite place faite d’un bistrot, d’un boulanger et d’un tabac-presse avec tourniquets de cartes postales. Il évite l’huile bouillante que le soleil verse à pleins seaux, cherche l’ombre, rase les murs qui le mènent sur l’aire d’une autre place, minuscule celle-ci, où nul autre passant que lui ne passe, où rien ne se passe sinon le bruit suffoqué d’une radio. À gauche, des escaliers descendent dans une venelle qui se perd dans la mélancolie, à droite un fleuriste inonde le trottoir. Puis la rue se tord, lascive, se déhanche, et avance d’une démarche languissante. Une voiture passe, lentement, une autre, dont les pneus lèchent le goudron en laissant sur la rue un dessin de bas résille. Tout près mais invisible, un chien gueule, méthodiquement, sans forcer, sans cesser. Les maisons s’espacent, se font individuelles avec des jardins à fleurs. La rue devient route ; quelques arbres privés d’ombre s’épuisent, encore debout. La chaleur est ici franchement obèse. »

 

© Guy Brémond, in Chronique d’un lieu-dit.

 

 



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11 juillet 2009 6 11 /07 /juillet /2009 07:44


Le pays où vit dorénavant Guy Brémond est un pays à peu près dépeuplé d’hommes et peuplé d’arbres. Donc un pays habité de solitude et de Brémond. Ce silence et cette solitude forment un couple parfait, une rareté. L’œuvre qui en naît – journalièrement – en témoigne.

Si elle ne fait pas de bruit, ne fait pas parler d’elle, c’est comme un mort dont la paix est profonde comme la terre, c’est-à-dire comme un tableau enfermé dans une pièce, accroché sur un mur, seul, dans les ténèbres, sans la lumière d’un regard. Songe-t-on quelquefois à toutes ces beautés ensevelies dans le tombeau de l’absence ?

Une œuvre qui ne fait pas plus de bruit que l’herbe qui pousse devant la porte de sa maison. Vieille. Non comme les rues, mais précisément comme l’herbe qui n’a plus d’âge à force d’en avoir. Ceux de ses amis qui voudraient, non qu’on fît du bruit – rien n’est plus haïssable que le bruit humain – mais que cette œuvre silencieuse fît taire les hommes au moins l’instant qu’il leur faut pour se recueillir, hésitent à la pousser sur le devant de la scène. Ils craignent en effet, non sans raison, que le passage sans transition de la pénombre de la paix à l’éclat des projecteurs soit fatal aux spectateurs : il y a de fortes probabilités pour que la beauté tourne bride à ce soleil et regagne son ombre.

Ces messieurs-dames auraient alors beau jeu de se dorer la pilule (un régal) en se gaussant des restes : une peinture faisant grise mine dans l’or de son cadre de vie conditionnée. Il faut pourtant tenter la chose.

Difficile, car il s’agit d’une véritable transplantation. Transplanter le cœur vivant d’un mort dans un corps vivant au cœur mort équivaut à sinon réussir, du moins à vouloir accomplir un chef-d’œuvre. C’est du reste cette opération qu’effectue Brémond chaque fois qu’il plante un arbre dans son œuvre. Il lui arrive même d’y brancher une chouette. Si bien que de fil en aiguille, la tentative à laquelle on se voue équivaut, considérant le nombre de transplantations emboîtées les unes dans les autres, à rien moins qu’à expatrier de son milieu nocturne un univers de lumière pour l’implanter dans un milieu de feux d’artifice.

On devrait écrire la fable intitulée : l’arbre de ville et l’arbre des champs. Les arbres de Brémond sont tous des arbres de vie, autrement dit de la liberté d’en descendre ou d’y remonter pour ceux des hommes qui sur terre ont des raisons de craindre pour leur vie, intérieure et extérieure. Tous les arbres qu’il peint, ou dépeint quand il troque le pinceau pour le stylo, sont des êtres parfaitement indéracinables : ils sont le tableau ou le poème qu’on ne peut pas plus ôter du cœur amoureux qu’on ne peut ôter ses yeux dans les yeux dans un tête-à-tête amoureux.  

 

            « Le silence franchit les vitres comme les pas traversent les champs jusqu’aux lisières des bois.

            La lumière froncée y boutonne sa chemise sur les odeurs d’amour, d’humus, d’émois.

La pénombre lèche la chair des lèvres ; le tissu d’été se jupe autour du lait des jambes.

Nul grésillement, que le matin dans l’arbre aux mains légères, que les pas du chemin jusqu’au bout du silence. »

 

© Guy Brémond, in Récitatif

 

 

 

 

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10 juillet 2009 5 10 /07 /juillet /2009 06:00


 

Le sens figuré de chef-d’œuvre ne s’emploie que depuis 1508. Jusque-là, le chief d’œuvre était, je cite : “l’œuvre capitale et difficile d’un compagnon en vue d’obtenir la maîtrise”. Le chef (caput en latin, ke+al» en grec, qui a donné ™g!š+aloj, encéphale), c’est la tête, le point capital. L’œuvre (opera, opus, en latin, œrgon en grec – énergie), c’est le travail, plus exactement ce qui est créé par l’activité humaine. L’opus, désigne d’abord la journée de travail du paysan (d’où journalier), son ouvrage, son œuvre, voire son chef-d’œuvre. De même que le Quatuor, opus 15 de Beethoven est un chef-d’œuvre.

Ceci posé, la déduction s’impose : tout homme pourvu d’une tête et de cœur au ventre (cf. article 32 Femme, à propos du ventre) ne devrait jamais, sa vie durant, que, sinon créer, du moins déployer l’effort destiné à créer un seul chef-d’œuvre ou chefs-d’œuvre sur chefs-d’œuvre. Depuis que nous avons lâché les amarres pour entreprendre ce voyage, nous n’avons cessé de parler d’absolu. Le relatif est l’argument des malins, tous gens éminemment raisonnables qui en toutes circonstances tirent avec la couverture leur épingle de ce jeu de dupes.

Que le paysan travaille vaille que vaille son champ en se disant : « bah ! le seigle poussera bien », ou que le peintre travaille sa toile cahin-caha en disant à ses admirateurs : « hein ! c’est bien venu, non ? », on reste les quatre pattes et la tête dans le relatif qui permet de composer force dithyrambes à la médiocrité. Laquelle, comme chacun sait, n’empêche ni la célébrité ni la richesse de récompenser le mérite de tels auteurs – des fauteurs.

Donc, pesons le mot : chef-d’œuvre. Pour se déterminer à décréter qu’une chose est un chef-d’œuvre, on se rapporte ordinairement à quelques règles élémentaires. Celles-ci sont toutefois incapables de permettre de conclure. Si l’on fréquente une salle de musée, il n’est pas rare d’entendre prononcer ce mot. Et en effet, beaucoup des objets présentés en sont certainement d’authentiques, d’autres pas, d’autres sont en revanche d’authentiques médiocrités. Dans la salle d’une galerie d’exposition, a fortiori un soir de vernissage (où il y a belle lurette que le vernis ne sert plus que d’adjectif pour qualifier certaines personnes), si le mot n’est pas dans toutes les bouches comme le sont les petits-fours – qui ne sont pas un obstacle à parler la bouche pleine –, c’est uniquement parce que la mode l’interdit : il ne s’agit, comme nous avons eu l’occasion de le dire, ni d’œuvres ni de chefs-d’œuvre, mais de travaux, les derniers travaux de X ou Y – qui ne sont pas systématiquement des Hercules. Si dans cette ambiance les uns n’ambitionnent qu’à s’apapelardir, les autres à s’enorgueillir, quelques-uns ambitionnent carrément à s’ébaubir. Il y a de quoi : si le chef-d’œuvre n’est pas accroché aux cimaises, il est debout sur le parterre (jardin consacré à la culture des fleurs – à cueillir et se lancer).

La modestie de Guy Brémond est telle qu’il ne peut se soumettre à l’affectation ci-dessus décrite. Aussi ne sautille-t-il pas d’un mot badin à un mot malin qui traîne dans les médias comme une traînée dans les voiries. Lorsqu’il parle de ce qu’il fait, il parle de son œuvre, au féminin. Car il y a l’œuvre au masculin : un œuvre est un terme d’architecture, de même que hors d’œuvre (opposé à dans œuvre), gros œuvre ; appliqué à la création d’un artiste, c’est une affectation, on se plaît avec pédanterie à user d’un archaïsme qui ressortit à l’esprit des Précieuses ridicules.

C’est la même modestie qui oblige le même Guy Brémond à n’aimer qu’en termes d’absolu. Je dis aimer, puisqu’il ne saurait donner son attention à quelqu’un, à quelque chose, à peindre ou à écrire sans immédiatement tendre au chef-d’œuvre. Cela rejoint ce que nous disions à propos de la qualité, de l’intensité de l’effort (dans l’article 21 - Le raté). Faire acte de création ou d’amour, c’est non seulement accomplir le même acte, mais, de plus, c’est faire acte de chef-d’œuvre. La moindre restriction, le moindre regard jeté en arrière, la moindre hésitation, le moindre calcul, et c’est l’enfer de la petitesse, car c’est alors faire acte d’allégeance envers la médiocrité, tolérée par la tolérance laxiste et consensuelle. Le vrai chef-d’œuvre est d’abord dans l’homme tendu dans son acte d’absolu, le seul, l’unique geste qui permet d’extérioriser la beauté, même si celle-ci, vue à travers les lunettes de la mentalité générale qui impose ses poncifs (via ses pontifes aux copieuses logorrhées), n’apparaît pas au premier, ni au deuxième, pas plus qu’au troisième coup d’œil, comme telle.

 

« […] Des bras qui restent pudiquement à demeure, le long de mon corps. Mais des bras qui sont tendus vers toi, qui sont ouverts comme sont ouvertes mes lèvres et ta femme tout entière…  Que tu dédaignes. Pourquoi ? Oui, pourquoi ? Suis-je laide jusqu’au crève-cœur, suis-je bête à te faire peur, suis-je niaise parce que je revêts ma nudité d’une robe ou d’une jupe, d’un corsage ou d’un chemisier, parce que j’en brode moi-même les cols ronds de fleurs jaunes ou bleues ?  Crains-tu donc que mon amour t’envahisse, t’asphyxie, te ligote comme dans une camisole de force, qu’il soit un frein à la roue de ta fortune, qu’il soit une paille dans l’acier de ta carrière, qu’il soit une chaîne, une laisse, un boulet, un divertissement, un oiseau de paradis qu’il faut nourrir et abreuver jusqu’à sa mort ? J’ignore ce qui te fait m’aimer sans réussir à m’ambitionner ; j’ignore mon tort ; j’ignore même ce sort auquel me voue notre amour. Cet amour, mon chéri, qui ne prend ni n’exige qu’en proportion de ce qu’il exige de lui-même et donne. Or si je me donne sans restriction ni esprit de retour, si je ne veux rien garder pour moi seule, ni mon corps, ni mon âme et pas plus ma parole, mon silence, la jeune fille, la future mère, que sa joie, sa tristesse ni sa beauté, c’est parce qu’il m’est impossible d’aimer à moitié. Je ne peux imaginer un homme, une femme, qui, disant aimer, s’économisent au point de cultiver en sous-main une prudence, une poire pour la soif, cet en-cas pour le cas où, cette odieuse idée de derrière la tête qui prévoit un éventuel après l’amour… Cela ne te fait-il pas penser à ces couples indigents qui après s’être unis de fond en comble, après s’être prodigalement pénétrés, s’être adorablement bouleversés jusqu’au cœur (zone érogène inaccessible autrement que par cette étreinte), se désâment en allumant la télé, en fumant une cigarette, voire en plaisantant à propos de ce qu’ils viennent d’accomplir, ce qu’ils appellent, avec une vulgarité qui violente la beauté du geste, baiser ? Ce culturisme muqueux m’écœure autant que de voir des pattes sales tripoter à plaisir un chef-d’œuvre. […] »  

 

© Guy Brémond, in presque lent

 

 

 

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9 juillet 2009 4 09 /07 /juillet /2009 05:45


Il n’est guère difficile de savoir que ce voyage au centre de la chair humaine ne passionne guère les foules. Il manque en effet à ce récit ce qu’à dessein nous lui avons refusé : le piment, le sel ou le sucre ajouté avec lesquels on assoiffe le lecteur en mal de bonds et rebondissements spectaculaires. Tel n’était d’ailleurs pas le but, si but il y a.

Il est vrai que voyager dans l’existence de Guy Brémond n’est pas à la portée du premier venu : il y a des risques, et à courir sans assurance possible. Il faut d’abord savoir qu’un tel voyage revient à effectuer une plongée au centre de la femme, jusque dans ses entrailles (sachant que +r»n, ¹ +renÒj signifie intelligence, mais d’abord diaphragme, sur lequel agissent les sentiments, d’où entrailles, cœur, et par là ce que symbolise le cœur : plus que l’intelligence, le sentiment). Nous l’avons déjà précisé : il ne s’agit certainement pas de se baguenauder dans sa vie pelliculaire, son enfance, ses écoles, son adolescence, l’éveil de l’art, de l’amour, etc. Même si, le cas échéant, il peut s’avérer utile de se référer à telle circonstance ou tel fait, l’essentiel de cette aventure se passe dans la pulpe du fruit.

Brémond est un homme d’intérieur. Rien ne lui sied mieux que la réclusion. Dans l’ombre, certes, dans l’obscurité, mais une obscurité éclairée. Repose en lui une lumière permanente. Douce, cela va de soi, pas question d’éblouir. C’est une sorte de ver luisant installé à demeure dans la chaude anfractuosité d’une chair immortelle. Une déesse, une mère, une déesse-mère, une terre-mère, une Déméter : une femme.

Peut-on d’ailleurs rêver terrain plus fécond et fertile, plus profond et utile, plus rassurant et fragile qu’un pareil lieu de nidification, de création ? Ce ventre de femme, ce “Château de l’âme”, ce ventricule d’où jaillit le sang de la flamme, est pour Brémond la féminité nécessaire, l’impératif catégorique sans l’accomplissement préalable duquel son homme et son humanité resteraient secs et stériles.

Ce qui ne veut pas dire qu’il se réfugie dans un utérus comme l’autruche enfouit sa tête dans un pot de terre. Du tout ! Un pareil utérus serait pour lui un sépulcre. On en est loin. Ce qui en revanche est sûr, c’est que toute l’action, l’énergie, la tension de sa création, tout ce qui fait la qualité du poète, puise son impulsion à la source de la féminité.

En présence de Guy Brémond, la première chose que l’on constate – après toutefois son érémitisme foncier –  c’est sa nature besogneuse : il n’arrête pas une seconde de labourer, herser, semer sa chair humaine. Opiniâtre, il travaille de une heure du matin à huit heures du soir. Pour s’interrompre à l’heure du déjeuner, puis le soir, au moment de prendre une légère collation. Son labeur est sa lumière. Mais qu’on le prive un seul instant de ce qu’il appelle lui-même la « berce » de sa vie – autrement dit la féminité, tout ce qui constitue le génie de la femme, depuis sa puissance de tendresse jusqu’à ses seins, depuis sa générosité radicale jusqu’à son ventre – et, selon ses propres termes, il « devient bête à brouter du foin ».

Il l’est parfois, confessons-le, mais bête comme on est malheureux : il est hébété. Il est en effet semblable à une moisson panifiable privée de sa terre à l’instant où elle apercevait l’indispensable levain. L’homme et l’œuvre, qui ne font qu’une existence, ont besoin du génie de la femme pour exalter celui de l’homme, qui peut seulement alors se transmuter en œuvre. Il n’est pas de ceux qui remplacent aisément cet amour féminin par un chat, par une collection de papillons ou par l’argent. La femme est dans son œuvre la circulation du sang et la beauté.

 

« […] Car comment ne verrais-je pas ton regard de vérité venir se poser sur ma bouche, rouge du bonheur que tu me fais ? Une jubilation si brusquement ardente, une ardeur si impétueusement fervente que le fard de mes lèvres fond, les laissant nues sous la crudité des tiennes. Un regard qu’en dépit de ta célérité à le reprendre j’ai le temps, avec le savoir-dire et faire de ma langue, de graver jusque dans l’aubier tendre de ta personne (toujours un peu en retard) ce mot que tu portes maintenant insculpé dans ta chair : je t’aime… Tu as beau ensuite te reprendre en main, rapatrier ton émoi qu’en réalité tu expatries, tu ne peux pas, tu ne peux plus, tu ne pourras jamais plus faire en sorte que mon baiser ne soit pas la chair de ta chair. Je t’aime ! Tu as beau retirer ton regard enrichi de ma bouche, le lancer en avant comme un fer de lance et ne vouloir plus voir devant toi que s’allonger ta ligne de vie, de conduite et de fuite, tu sens en toi mon amour te dorloter. Je t’aime. Et tu auras  beau continuer  ainsi à  m’arracher  des  yeux  l’aveu des tiens, à ôter ta virilité de ma féminité, à m’interdire l’orgie de l’émerveillement, à passer devant moi sans venir à moi après avoir été sur le point de t’arrêter enfin, mon amour, mon malheur, ma douceur, mon chéri, ma folie, écoute encore une fois cette voix qui dans ta nuit te chante sa berceuse : je t’aime ! je t’aime !… […] »

 

© Guy Brémond, in presque lent

 

 

 

 

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8 juillet 2009 3 08 /07 /juillet /2009 05:33


Tel paysage (par exemple, car ce pourrait être indifféremment un portait ou des fruits) exécuté par Guy Brémond avec presque rien – les spécialistes parlent alors d’économie de moyen –, mis à côté d’une surface d’art plastique rutilant de distorsions hautes en couleur ou d’un panneau d’art minimaliste ou maximaliste, disparaîtra corps et âme.

On ne le regarderait pas, on ne le regarde pas, on ne le regardera pas. Quand ce n’est pas la quantité de peinture utilisée pour un tableau, c’est la virtuosité qui emporte l’adhésion, ou la complexité, ou la provocation. À telle enseigne que, de même qu’un texte, plus l’œuvre nécessite apparemment de perscrutations opiniâtres, plus elle jouit de la faveur de son public, un public préparé comme le piano de John Cage.

Ce n’est certes pas ce genre de choses et d’autres qui peuvent troubler l’existence de Brémond. D’ailleurs sa solitude l’en préserve. Préservation accrue du fait qu’il ne regarde jamais la télévision, n’écoute que parcimonieusement France-Musique lorsque cette radio cesse momentanément de jouer l’allumeuse, et ne lit aucun journal. Si bien qu’aucune sirène n’a le pouvoir de l’influencer. Comme, de plus, il n’a personne à éblouir, épater, provoquer, racoler, séduire, il vit et œuvre, par conséquent, comme il est dit ci-dessus : avec presque rien. Le presque se réduisant, d’une part à sa main, ses yeux, son cerveau, et d’autre part à une feuille de papier, une toile, un stylo et des couleurs. Quant à sa technique, elle est dorénavant réduite au strict essentiel.

Il est sans doute heureux qu’il ignore également que l’un de ses amis pérore à ce propos sur une page d’Internet. Mais si ce Cicérone d’ami le fait, ce n’est pas pour le plaisir d’exprimer son choix, son avis, mais parce qu’il sait que si d’aventure, Guy Brémond se risquait à exposer ses œuvres, il s’exposerait, et surtout les exposerait à ne pas même être entraperçues. C’est à tel point vrai que s’il les exposait dans un confessionnal, il aurait du moins l’assurance qu’elles seraient vues et sues de trois visiteurs de marque, griffées Dieu, le diable et le curé.

Pour savourer l’art de cet homme, la première qualité qui s’impose est la modestie. Non pas la modestie en matière… – j’allais dire plastique, comme quoi… – de peinture ou de poésie, mais la modestie tout court, générale, humaine. En effet, ce n’est pas la “cuisine” du métier, la virtuosité ni le trapèze volant, qu’il faut ici s’apprêter à savourer, mais la nature de l’œuvre, le produit naturel, disent avec les gastronomes les maîtres queux. Or cette nature, répétons-le, est faite avec presque rien. Autrement dit elle s’offre au regard dans toute l’exigence de sa simplicité. L’opposé diamétral du simplisme qui dans le sujet qui nous occupe est dix fois sur dix issu d’une complication qui n’amortit que l’appétit zélé des bâfreurs de quintessences. Nous ne fréquentons pas ce milieu d’obscurantistes diserts.

Une simplicité qui s’impose au même titre qu’un sourire se donne ; accepter cette simplicité c’est symétriquement prendre le sourire ; dans les deux cas qui n’en font qu’un c’est faire si bien preuve de simplicité que celle de l’œuvre s’ajuste alors avec une précision adorable à celle du regard. D’où il découle que pour apprécier tel paysage exonéré de tout maquillage flagorneur autant que recruteur, il est nécessaire d’être soi-même aussi simple que la beauté est discrète.

 

« […] En attendant tu approches, mais sans hâte. Peut-être, me dis-je, fait-il durer le plaisir ? Un plaisir cruel pour moi dont l’anxiété s’accroît au fur et à mesure que tu avances, que tes yeux t’avouent, que ton visage, ta bouche, tes mains, que tout ton corps, que tes pieds même font déjà l’écart qui te dévie de ton droit chemin, un écart minuscule, infime, c’est vrai, mais suffisant pour te conduire à moi. Moi qui prie, qui te crie, qui t’écrie mon amour, moi dont la détresse trémule sur mes lèvres, moi qui pleure… Tu dois le voir d’où tu es… ? Qui pleure, mais sans larmes puisqu’elles refluent à l’intérieur où elles se répandent en sanglotant, en m’ensanglotant… Et puis, soudain, les lumières de ta raison reprenant le dessus, tu te retires, tu me déchires, et sans rien dire ni avoir dit, comme un cupidon qui après son effort rajuste sa cravate, sa veste, ses lunettes et sa coiffure, tu te ressaisis, et l’ego harponnant l’éros tu remets tes pas dans ton droit chemin. Tu passes, tu pars, tu t’éloignes, je meurs. […] »

 

© Guy Brémond, in presque lent

 

 



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7 juillet 2009 2 07 /07 /juillet /2009 05:50


Si dorénavant sa peinture comme sa prose et sa poésie, sont empreintes d’un calme parfois un peu austère, d’une sérénité un peu mélancolique mais d’une paix vraiment claire et nette, cela est dû à l’existence quotidienne qu’avec les circonstances, les vicissitudes, sa patience et sa volonté, continue à se faire Guy Brémond.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, sa profonde contemplation vient principalement de ses activités. Il a certes toujours mis les mains à la pâte de la vie, mais ce qu’elles pétrissent ce n’est pas que “le silence du cabinet”, du bureau, de la bibliothèque ou de l’atelier, c’est aussi le silence de la terre et la terre elle-même. Celle dans laquelle son corps va pourrir.

On l’a assez dit : Guy Brémond a le sens du réel. Jamais il ne le quitte pour aller errer sur les flots de l’imaginaire. Chez lui, l’imagination est au service de la réalité qu’il veut exprimer afin de la vivre jusqu’à la moelle de l’os, jusqu’à l’âme, et non l’inverse. Aussi ne serait-il pas faux de penser que si par extraordinaire Brémond n’avait pas été le poète qu’il est devenu, il serait certainement paysan. Ou musicien. Il l’est d’ailleurs, à ceci près qu’il joue le silence sur l’instrument de la solitude.

Le vrai poète ne l’est jamais de profession. Que peut donc répondre Brémond à l’injonction des formulaires de toutes les catégories : nom, prénom, âge et profession ? Les trois premières cases, ça va, c’est facile. Mais la quatrième, profession ? Car enfin s’il est peintre, il n’est pas que peintre, et ainsi du reste ! Il pourrait dire : homme. Mais on lui rétorquerait qu’il ne s’agit pas de son sexe, et autres arguties sans issue (puisqu’en l’occurrence homme signifie humanité.) Non, il n’est ni bête ni de mauvaise volonté. Il comprend fort bien le sens des mots. Et c’est justement pour cette raison qu’il trouve la question à la fois insensée et indiscrète. Qu’a-t-on aussi besoin de savoir ce qu’il fait, s’il arrache une salade, s’il écoute le Quatuor de Samazeuilh, s’il peint le visage de sa terre ou le paysage de sa femme, s’il tue un lapin, s’il écrit l’histoire d’un homme déclaré insignifiant, donc sans nom, sans amour, sans vie, sans âme, sans rien, ou s’il tronçonne un arbre, traduit Eschyle (ce qui a déclenché notre connivence), s’il sourit au sérieux de l’herbe, s’il fait l’amour, s’il fait deux enfants, trois enfants… ? Est-ce que ça regarde Untel et Untel ? Est-ce que ces Untels tiennent la chandelle pour voir comment il s’y prend pour faire toutes ces choses qui ne sont qu’une existence intime, personnelle, secrète, qui va s’en aller dans la terre comme elle est venue sur terre, sans rien demander aux porteurs de chandelle ? Il préfère nettement les jolies canéphores (aƒ kanh+Òroi), qui portaient des corbeilles, ou la belle Dryade, déesse des arbres… Naturellement on lui réplique aussi sec qu’il coupe les cheveux en quatre, qu’il répond à côté, qu’il sort de la réalité, que et que. De tels dialogues de sourds n’apparaissent que là où l’un des deux interlocuteurs se fait sourd comme un pot pour se conformer strictement à la règle plate qui le rétribue contre son total assujettissement.

Si la vie de Guy Brémond est somme toute austère, s’il est évident qu’il pratique une ascèse grâce à l’efficacité de laquelle le calme et la douceur matérialisent sa peinture, il n’en est pas moins vrai que cette vie est excessivement modique quant à son poids social et modeste quant à sa qualité d’âme.

De plus, si depuis le début de ce voyage au long cours (reverrons-nous Ithaque ?) revient comme un leitmotiv le terme obligé d’absolu, ce n’est pas pour rien – et d’ailleurs l’absolu n’est pas fait pour les chiens. Sans cette exigence infinie, nulle paix n’est espérable, et par conséquent nul calme. Or, même sous l’emprise d’une extrême tension, d’un extrême enthousiasme et même de l’extrémisme de l’amour, il est toujours impérieux de garder suffisamment de maîtrise de soi pour exprimer pleinement l’un ou l’autre de ces sentiments. Privé de cette tranquillité d’esprit, rien n’est possible, sinon une œuvre brouillonne, chaotique, bouffonne, grotesque, pédante. Des sentiments qui s’expriment chez Guy Brémond avec les moyens du réel, de l’univers. Des moyens qui font que précisément ses œuvres sont utiles. Quoi qu’il ait à exprimer, il utilise le quotidien, il prend tel sapin opulent et fier, tel damier de champs sages et vertueux, et il peint, il écrit, il vit. Ce réel est un ornement, une beauté, une création, un amour, c’est l’univers. 

C’est aussi sa pensée. De sorte qu’il est inexact de soutenir que l’univers ne pense pas. En ce qui concerne Guy Brémond, il s’agit d’une pensée dépouillée. Il se sert de la simplicité comme d’autre se servent d’un tournevis, d’un archet, de l’eau, du feu…, et il produit avec elle une pureté, de telle sorte que le tableau ou le poème sont alors si peu professionnels qu’ils évitent d’être une atteinte à la pudeur.

 

            « Il faut reprendre les choses de haut.

            En commençant par le pays. Autrement dit par du ciel, de l’herbe et des pierres. Pour être plus précis, disons qu’il s’agit d’un long plateau bossué çà et là de lentes éminences herbues qui coulent comme des châles de soie verte – et qu’un vent inaudible fait incessamment onduler. Y règne un air sans poids, un air doux dont le teint a l’odeur de la terre. Une terre qui s’allonge avec un frisson dans le dos sous un zéphyr chattement faufileur d’ourlets collinaires. Une terre qui a la tendreté, la carnation, la légèreté d’un ciel de lit blanc ; une terre qui absorbe jusqu’aux mugissements charnus des génisses qui ont vêlé. Tandis que des brouillards, immobiles comme des silences dans une bouche entrouverte, vont par monts beurrer les vaux qui gisent dans leur berce pareils à de grandes vaches d’ivoire couchées sur des velours pelucheux – et que des brumes s’élèvent en floques velues qui, telles des bêtes à laine paissant dans les taillis, laissent pendre aux branches des lointains bois gris des pelotes angoras et bises.

Ici la hauteur est étale et faiblement houleuse, n’y écume que la molle intumescence des vagues herbacées. C’est une solitude. Infinie, bien entendu. Une montagne. Elle domine tout, sans autre limite que la rotondité de son horizon. N’y pousse nul arbre, que l’herbe et le vent. Ce sont les seuls personnages vraiment originaires du pays, les vrais père et mère des hommes dont les épousailles perpétuelles ne s’expriment que par les allèchements austères d’un chuchotement paisible et apaisant. Chuchu laiteux, continu ; flux frais, flexueux, dans lequel les moutons pâturent et les buses tournoient À part ces bêtes, ne viennent ici que quelques chasseurs (qu’on entend précisément tirer leurs coups de fusil) et leurs chiens (dont on entend aussi les coups de gueule en poursuivant, la truffe à son cul, le déboulé du gibier) […]. »

 

© Guy Brémond, in Chronique d’une lieu-dit

 

 

 

 

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6 juillet 2009 1 06 /07 /juillet /2009 06:11


Brémond a le regard doux. La douceur est chez lui la première nature – et la seule. Mais une douceur qui, comme une palette, comme un clavier, comme un lexique, peut s’exprimer parfois avec toute la véhémence d’une clameur humaine.

Le contraire de la douceur, ce n’est pas la violence, car la douceur peut être violente, c’est le courage poltron, la lâcheté rusée, l’orgueil veule. C’est ce qu’en matière artistique, par exemple, on peut qualifier de mièvrerie suprême, laquelle consiste ordinairement à agiter la crécelle du génie qui s’enfle en respirant l’air du temps. Cet intéressant mystère opère comme celui qui a toujours l’art de paraître nu tout habillé, ou inversement, ce qui est plus rare, mais tout aussi à la mode – celle de tous les temps, comme les tartes à la crème qui engrossent la si riche obésité de l’académisme, dont le caquet résineux obtient les prosternations de tous les fumerons en mal de première page.

Au lieu que la douceur est une énergie dont l’audace va jusqu’à l’absolu. Lequel ne souffre, cela va de soi, aucune compromission. C’est la raison pour laquelle l’extrême douceur est une révolte, une insoumission : tout ce qui n’est pas elle lui est douleur et scandale. Or cette douceur est précisément la nature du progrès humain. Aller contre la douceur, c’est aller contre le progrès, contre l’homme et la beauté, contre l’amour et la création.

Un peintre (un poète, etc., en vérité tout homme, quel que soit par ailleurs son activité, paysan ou mathématicien) est un rebelle. Sa peinture est un appel à la révolte alors qu’elle est une déclaration d’amour : telle est bien sa violence, sa suprématie sur les autocraties, qu’elles soient lénifiantes, asphyxiantes, béatifiantes ou crucifiantes. Même l’oppression avantageusement décolletée de l’académique volupté intellectuelle ou financière, est réduite à quia par cette intrépidité solitaire. À cet égard, le tableau (le poème, etc.) agit comme le “ non-violent”. Celui qui se déclare non-violent n’est absolument pas passif. La tranquillité parfaite du tableau n’est passive que pour la brute, par définition aveugle. Ce qui en dit long. En particulier qu’il est de la plus vive importance de se défier de la fausse douceur, cette caresse dans le dos pour mieux poignarder. En effet, de même qu’on peut se montrer indulgent par flagornerie, par complaisance et intérêt, par calcul ; se montrer indulgent vis-à-vis d’une facilité, d’une faute, d’un crime, d’une niaiserie qui, dûment exploitée, procure profit sur profit – ce qui n’est plus de l’indulgence mais de la cautèle –, de même on peut se montrer doux pour les mêmes déraisons. Un peintre qui procède ainsi, qui laisse agir sa peinture carcinogène, source empoisonnée, n’est qu’une de ces brutes au courage poltron, un fallacieux qui appelle beauté – ou plutôt, comme il est aux petits oignons avec le dernier cri qui sévit, expression plastique –  la laideur, et le reste à l’avenant. Tout est question d’œ>oj, d’éthique, autrement dit l’art difficile de l’effort consistant à rester droit au milieu d’un troupeau courbe et fourbe : æj car…en œs> ¥n>rwpoj, ¥n ¥n>rwpoj Ï (quel être agréable que l’homme, quand il est un homme).   

La beauté est douceur comme l’amour est beau. Une triade toute-puissante dont les multiples  expressions ont du nerf et du muscle. Une beauté molle est laide ; un amour amorphe est une indifférence, laquelle est à un pied de la haine.

Cette triade-là est dans l’œuvre de Brémond. C’est elle qui exprime ses indignations, jusqu’aux hontes que n’éprouvent pas ceux dont les faux-semblants et les affectations de rigueur engendrent aussi bien les brutalités esthétiques que les férocités économiques. Pour s’en tenir à ces deux trayons d’un troupeau de mamelles.

 

« Seul. Sans mère, sans femme, sans ami, sans amour… “Que moi… Comment je vais faire ?”

Il ne bouge toujours pas. Ne regarde rien mais voit tout. Ce qui l’étonne, parce qu’il voit les choses qui sont dehors presque trop nettement : les murs en face, entre autres ceux qui sont tachés de pubs entre les tuyaux de pvc et les fils du téléphone, les câbles, les portes… Il voit les pavés, les voitures garées, celles qui passent en chuintant, le chien qui file comme un trait, le couple bras dessus avec son parapluie, les gamins en survêt’ et casquette u.s., le restaurant immobile… Il voit cette vie en éprouvant une certitude simple, en pensant que le présent a tout son temps, quel que soit le temps, qu’il bruine ou qu’il pleuve, qu’il fasse froid ou… “Comment je vais faire ?”

Il se voit avec ces choses, avec ces murs, ce chien, ce couple, ce restaurant, cette bruine, cette certitude. Tout un monde à la portée de tous, de lui, de sa main. Aujourd’hui, maintenant, à l’instant. Ce monde extérieur, de l’autre côté du pare-brise, de l’autre côté de la chair de poule, de sa peur d’être seul, lui qui sait, qui est sûr, qui est fatigué, qui est arrivé, qui est assis ici, qui se repose, qui pose une main sur sa cuisse, qui la pose sur le bord du siège, une main qui sent le doux pelucheux du siège, qui le caresse, qui va, qui caresse ce relief doux comme une toison d’agneau, qui caresse, qui va et vient… Lui qui voit les pavés, les voitures, qui voit celle qui est garée devant, opulente et aubergine, lui qui ne sait pas comment il va faire, qui tient encore son volant, qui le lâche, qui baisse sa main jusqu’au sac en plastique, qui le fouille, le fouille, qui en retire ce qu’il vient d’acheter, qui caresse le relief sans autre motif que la consolation, la tendresse, qui lève très vite le menton en levant l’autre main à sa gorge qu’il ouvre sans hésiter… »

 

© Guy Brémond, in Méprise

 

 



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5 juillet 2009 7 05 /07 /juillet /2009 06:43



          Si Guy Brémond, à l’instar de bien d’autres singularités humaines semblables à la sienne, consomme le monde afin d’en offrir la liqueur – comme l’alambic du bouilleur de cru –, sa vie n’en côtoie ni n’en fréquente pas moins parfois des malheurs et des dérélictions à propos desquels une querelle des anciens et des modernes tourments serait (est ?) une injure ajoutée à la torture advenue.

          Toute laideur est le produit d’un abus, d’un excès, d’une démesure, autrement dit d’une erreur monstrueuse (la laideur étant un monstre), pouvant aller jusqu’à déclencher la terreur, et même la terreur panique (de Pan, dieu des bergers et des troupeaux dont l’apparition provoquait la peur). Toutes les vulgarités sont des laideurs qui vont jusqu’aux bassesses les plus rampantes ; un ensemble exploité par toutes les sortes de pouvoirs dont les buts sont précisément l’abus, de pouvoir, bien sûr, et par conséquent de profit, lequel est synonyme de démesure : une barbarie faite homme policé, urbain. Une barbarie socialement organisée qui pour les chairs populaires est un sarcophage. Cette laideur, dont le mot a été si bien dévitalisé de son sens exact qu’il n’est plus qu’un mot anodin, est en vérité une haine farouche issue à l’insu de l’homme – qui ne s’examine jamais le premier personnage –, une haine contre l’humanité, authentique misanthropie qui se dissimule et se travestit sous les couleurs seyantes et attrayantes d’éthique du commerce, du travail, de la culture, etc., mais dont la morale de l’histoire est la dégradation – rendue cependant “festive-conviviale” grâce, à la fois, à ses doses homéopathiques et au colorant, au conservateur en forme de rhétorique civique. Entre autres.

          Pour Guy Brémond, qui en peintre comme en poète ne peut que donner naissance à la beauté, la laideur est une iniquité de même nature humaine que le mensonge qui finit toujours en crime. La laideur est un knout qui cingle jusqu’au sang tous les moujiks, dont il fait partie. La misère, qui est la démesure de la pauvreté, est une laideur barbarisée, cruauté physique et mentale ennemie de la peinture qui émerveille, du poème qui enchante…

          C’est la raison pour laquelle je me permets de présenter ici l’extrait d’un texte fort instructif :  

 

           « Ses voisins du dessous, eux, les Magnien mère et fils, ne sont pas tout à fait comme ça. Des bourgeois, mais avortés. Des avortons sans joie. Paulo ne supporte pas. S’ils ne sont pas comme leurs semblables, tous suris d’ambition et formolés de lolots de consolation, ils ne sont pourtant ni révoltés, ni désespérés. Encore qu’on ne puisse peut-être pas tout à fait affirmer ceci pour la mère, laquelle boit vraisemblablement sa ciguë depuis son toujours. Quand il arrive à Paulo de la rencontrer seule – systématiquement sur le palier, à cause des chiottes –, elle est pareille à une femme morte qu’on aurait bourrée de vie comme on bourre un sac de son. Ils font semblant de ne pas se voir. En tout cas elle ne lève pas un œil. C’est une femme toute noire, hormis la figure de cire rance et séchée. Cette femme est la nuit, en regard du fils qui est le jour. Lui, c’est l’avachissement, le grandiose. Rare qu’ils se croisent dans l’escalier ou dans la rue. C’est un petit qui a engraissé. Un gros qui se tient extraordinairement droit. Un i court, épais, large sous le gros point du crâne qui ponctue ce gros caractère gras et gris. À la lettre, un plomb toujours vêtu du même costume, celui du vétéran gratte-papier. Un costume gris bleu clair qui le boudine, car il s’obstine à boutonner sa veste devenue trop étroite, de sorte que son postérieur fait saillie. Une double saillie. En effet, chacune de ses deux fesses soulève alternativement en marchant celui des deux pans de la veste qui leur correspond. Une veste tachée, froissée. Quant à la longueur du pantalon, elle a si bien été mangée par la largeur au fur et à mesure qu’il le remplissait en grossissant, qu’il laisse voir deux chaussettes molles emmanchées à deux godasses péniches. L’homme marche à petits pas lents, quasi solennels, la tête massive encaissée dans les épaules sur lesquelles son cou congestionné fait un bourrelet pileux de poils gris et follets. Le visage plein déborde en joues et bajoues au milieu desquelles s’incruste une bouche régulièrement close par la fermeture hermétique de son sourire sérieux, lequel est surplombé d’un nez sans importance, que chevauche néanmoins une paire de lunettes aux fines montures d’or qui grossissent deux yeux marron au regard défunt. Tandis qu’au-dessus d’eux fuit un front lisse taché de rougeurs qui vont se perdre dans les racines clairsemées de cheveux vieux plaqués en arrière. Tous les vendredis l’homme et sa mère montent la rue jusqu’au supermarché. Elle, toute noire, cassée en deux, crochée d’une main à l’anse du fils, son sac noir de l’autre, trottine, en retard d’un pas sur lui. Lui, droit, gris, le bras libre pendant, immobile, un grand cabas suspendu au bout, avance avec lenteur en levant exagérément les pieds. C’est elle qui achète, qui paie, qui range. C’est lui, porte-bagages, qui tient le pain sous le bras au cabas d’où sort la queue du poireau. Ils repartent comme ils sont venus : elle, cassée, à la traîne, crochée au bras du fils qui lève lentement un pied après l’autre. Ils y passent la matinée. Bien qu’ils se taisent toujours, Paulo les a entendus parler. Pas longtemps : Paulo marche vite. Mais le temps qu’il s’approche d’eux, qu’il les dépasse, qu’il s’éloigne, il surprend assez de paroles pour comprendre ce qui les occupe. Des paroles qui, si elles ne sont pas dites à voix forte, sont en revanche de fortes paroles. Dures. Elle se plaint. Des prix bien sûr, de tous les prix, ajoutant qu’ils n’ont pas les moyens… Gémissements qu’il coupe, lui, en affirmant, bas mais net, qu’elle « ne veut pas qu’il s’achète à boire, qu’elle est bête et méchante, que c’est une têtue, une punaise ! » Elle, elle bourdonne en parlant ; lui, il est tout doux, la voix salon, bureau, catimini. Ils s’interrompent brusquement au moment où Paulo arrive à leur hauteur. Puis, lorsqu’il les a dépassés, il les entend qui reprennent derrière lui. Paulo sait évidemment comme tout le monde que le fils Magnien boit. Mais qu’il ne boit que chez lui, jamais au bistrot. Du reste il ne fréquente personne. Il a pris l’habitude de boire en perdant sa place. À la perception. Il y a belle lurette. Une habitude qu’il a prise en mangeant : manger donne soif. D’abord un verre ou deux l’un dans l’autre. Puis, un jour poussant l’autre, il en ajoute un troisième pour faire glisser le précédent. Ensuite, cahin-caha, le verre se prolonge entre les repas, pour digérer. De sorte que son verre reste à demeure sur la table de la cuisine, au milieu, en compagnie du litre debout à côté du dessous de plat sur lequel sa mère pose le panier à fruits après chaque repas. Elle trouve que ça égaie. À propos du vin elle ne dit rien. Elle rouspète seulement après les prix qui augmentent, sa pension qui stagne, les fruits pas bons, le chauffage… Elle a une façon de rouscailler qui sape la placidité du fils. Un fils qu’elle appelle Raoul lorsqu’il lui coupe la parole. Un Raoul qui, las de l’entendre ronchonner, lui susurre alors à voix molle une phrase destinée à la « daller », à lui « fermer le claque-merde, punaise !… » Naturellement, malgré le geste qu’elle a de porter aussitôt la main à sa bouche, ce prénom prononcé avec l’accent de la prière a le don de le révulser. À tel point qu’il se verse un verre de vin. Qu’il boit toujours d’un trait comme on sable le champagne. Ce qu’il ignore. Il n’a jamais bu que du mousseux, et uniquement pour le jour de l’An. En outre et à ce stade, il est si excédé qu’il s’en verse un deuxième, coup sur coup. Quant à elle, qui ne marmonne plus que des lèvres, elle écoute glapir ce glouglou dans le silence comme si c’était là le bruit sinistre d’un noyé qui boit la mer... Lui, par contre, après avoir bu, se sent soulagé. Il dit alors pour mettre un terme à cette scène rituelle, un non moins rituel : « Punaise, va ! T’es ben vraiment qu’une punaise hein… » Tous les jours c’est ainsi. Tous les jours après le repas de midi, sa vaisselle faite, elle s’installe à sa table. Une table ronde, en noyer, qui vient de sa « pauvre mère », morte il y a sept ans, à quatre-vingt-deux ans. Elle s’installe de telle sorte que la lumière du jour vienne sur sa gauche, pour sa couture, sa broderie, parce qu’elle brode, et brode parfois de grandes pièces, des draps, elle a des clientes pour ça. Elle s’installe le plus vite qu’elle peut afin de bénéficier le plus longtemps possible de la lumière du jour : l’électricité coûte cher. Lui, à ce moment-là, revient des chiottes. Ceux dont se sert également Paulo, sur le palier. Il revient et s’assoit à sa place, face à la fenêtre, l’unique de la cuisine. La deuxième fenêtre de l’appartement éclaire la chambre de sa mère, contiguë. Lui il couche dans l’alcôve, depuis toujours, gamin, le père était encore là... Donc il s’assoit, pour l’après-midi. Elle lui a laissé sa serviette de table, qu’il plie en long pour y appuyer ses avant-bras. C’est tout ce qu’il fait. Hormis de se verser, à intervalles métronomiques, un verre de vin après l’autre. Méticuleusement. Il n’en met jamais à côté, jamais. Sitôt qu’il a bu (d’un trait), il repose son verre – à patte, il dit, qui provient d’un service aux trois quarts cassé, légué lui aussi par la feue mère de sa mère – très exactement au même endroit, au demi-millimètre près, quitte à y revenir pour le décaler cette fois d’un trentième de millimètre, en ajusteur de précision. Il ne lit pas de journal. Il n’écoute pas la radio. Il regarde juste un peu la télévision, le soir, et encore. En effet, il faut d’une part qu’il ne soit pas déjà couché, et d’autre part que sa mère l’allume. Ce qui n’arrive, en moyenne, qu’une douzaine de fois par mois. À part cette télévision, il regarde devant lui. Mais il ne sait pas quoi, parce que lorsqu’il arrive que sa mère relève la tête et qu’elle dise, comme ça, pour rien, histoire d’entendre vivre quelque chose : « Qu’est-ce que tu regardes ? », il répond invariablement : « Chais pas... » Même réponse si elle demande : « À quoi tu penses ? ». Il ne pense pas. Il ne passe même pas son temps : il boit. Son seul travail consiste à être au monde parce que sa mère l’y a mis. Laquelle, après environ une heure d’occupation, commence son œuvre de sape quotidienne. En marmonnant, histoire de meubler d’abord l’atmosphère jusque-là quiète, ou plutôt morose, et même blême avec son persistant tic-tac ! tic-tac ! tic-tac ! Elle marmonne, marmonne : un moulin à café, gron-gron-gron. En augmentant insensiblement le son. De sorte que des tronçons de paroles sont bientôt reconnaissables ; puis des paroles entières ; puis des morceaux de phrase, des phrases entières… À partir de là, conservant la tonalité et la hauteur de voix acquise, feutrée, ouatée, fadasse, elle ne s’arrête plus de rouscailler, de rouspétailler. Quoi qu’elle fasse, qu’elle change de fil, qu’elle le coupe avec les dents, qu’elle ramasse son dé tombé par terre ou qu’elle remue sa grand-voile de drap, elle se plaint, elle geint, elle ramone, elle n’en finit plus d’entasser des griefs, des accusations, des lamentations. Elle broie du noir, elle en barbouille toute la pièce, jusqu’au plafond ; les murs suintent de ce brou de vieilles noix rances, elle en gave ses draps, sa boîte à couture, elle en sature le silence obtus de son Raoul… Qui s’en humecte le béton gris : il boit. Pas le brou ! son vin. Il en accélère même le rythme. C’est à ce moment, en quelque sorte la mi-temps de l’après-midi, car tout est réglé comme un papier à musique, qu’il se lève pour aller chercher un autre litre. Sous l’évier. Quatre pas aller, quatre pas retour. Il se rassoit, en profite pour loufer large… Sans ciller. Puis, en se raclant la gorge et d’un mouvement enchaîné, il décapsule son litre, remplit son verre jusqu’à l’obtention ras bord d’une surface maximale bombée, sans bavure ni faux col ni une demi-goutte à côté, bouche le litre à l’aide de son bouchon taillé par ses soins (un bouchon dure à peu près trois mois, soit, grosso modo, quatre cent cinquante litres…), le pousse à sa place attitrée sur la nappe, boit d’un trait – mais d’un trait de plus en plus lent au fur et à mesure que s’allongent le nombre de verres –, repose, souffle, et s’accoude à nouveau sur sa serviette de table. Là, le temps suspend toujours son long cours, parce qu’ici il ne vole pas, rien ne vole ici. Dans cet intervalle de néant que grisaille la jérémiade de la mère, le fils rote, broah ! Un rot épais. Qui autorise le temps à reprendre son cours élémentaire. Tandis que sur la figure de l’homme les plaques de rougeurs s’avivent et qu’il regarde le même rien de ses mêmes yeux marron grossis par ses lunettes à fines montures dorées. Et que sa mère continue sa litanie, sa mécanique obstinée, tenace, têtue, tentacule acharnée, sablier bourré ras la gueule de la sanie d’une vie émiettée, concassée, broyée. Elle est incapable d’arrêter son débit, son ronchon, son acrimonie ; elle vide sa barrique, verse toute sa lie, sa liqueur, son poison, son empois ; elle enlimace l’air respirable, le rend gluant, pâteux, suffocant… Le piège. Elle moud sa farine qu’elle mouille de sa salive. Une colle, une poisse. Une expectoration productive qui en tout cas ne l’empêche pas de broder ses fleurs délicates, fleurettes des bois, des champs, jolies coquettes, mignonnes pâquerettes aux coquines feuillettes et fringant bleuet tendrement incliné sur sa violette, l’œil mutin… « Tout coûte maintenant, tu vois bien ! On peut rien s’acheter… J’avais besoin d’une éponge pour essuyer la table. Eh bien non ! J’ai regardé les savonnettes, la nôtre s’use… Je sais pas ce qu’ils ont à tout augmenter. Y s’en foutent, eux, je sais, oh ! je sais, çà !… Mais j’invente pas les sous, moi ! Tu comprends ça, au moins ? Eh oui… On peut quand même pas se priver de tout ! c’est pas possible ! ça n’existe pas ! Tu te rends compte ? Là, tiens, si l’ampoule lâche, qu’est-ce qu’on fait, hein ? Tu peux me le dire, toi ? Non. Eh bien moi c’est pareil. C’est bien simple, on n’en a pas d’autre… C’est combien de watts déjà ? Soixante-quinze ? Tiens ! c’est comme pour les poireaux, t’as vu ? C’est plus dans nos moyens les poireaux, et pourtant on peut pas faire une soupe sans poireaux ! Alors je sais pas, moi, je sais plus, j’y arrive plus, j’ai beau faire, calculer… Si au moins ma pension suivait, mais non ! penses-tu ! tu voudrais pas ! ça serait trop beau, hein ! Dis que ça serait trop beau… Pfeu ! C’est pas pour nous, je sais bien. Nous, comme d’habitude, on n’a que les yeux pour pleurer… Si encore ton pauvre père était là ! Parce que c’est pas lui qui se laisserait faire, je te dis que ça, moi, ouh non qu’il se laisserait pas faire, ouh non !… C’était pas un homme à se laisser marcher sur les pieds, lui. Lui, fallait que ça marche droit, il était la droiture même. Et si on lui parlait de travers je peux te dire qu’il avait le mot leste, lui ! le tac au tac ! y mâchait pas, lui, il mouchait, et comme il faut ! fallait voir !… Non mais c’est vrai, quoi ! on peut pas toujours rester comme ça, sans bouger, à se laisser plumer ! Seulement voilà, c’est chaque fois pareil, chaque fois ! dès qu’on remue le petit doigt, paf ! faut qu’il nous tombe toujours un sale coup vache derrière les oreilles, nous… Nous on est bon pour… J’en sais rien, tiens ! Par contre, ce que je sais, moi, c’est que j’arrive plus à me retourner. Et le gaz, dis ! tu y as pensé, toi, au gaz ? s’il nous lâche comme l’ampoule, hein ? qu’est-ce qu’on fait ? Ça nous pend au nez, si tu veux savoir… Jamais je pourrai tout acheter, vendredi, tu penses ! Et pourtant j’ai serré ! Que l’indispensable ! Le papier w.c., par exemple… Sinon où veux-tu qu’on trouve du papier ? Il y a bien madame Boname qui me doit les deux taies, tu sais, les iris ? Elle voulait des iris, alors je lui ai fait des iris, moi ! Tu vois pas ? Mais si ! ces grands iris jaunes dans l’angle, là… Même qu’elle devrait m’apporter une deuxième paire de draps pour en broder d’autres tellement… Oh elle me paiera pas avant, va, c’est sûr ! je le sais, faut pas se faire des idées. C’est pour ça que je dis tout le temps qu’on devrait pas tant dépenser, nous, se retenir un peu. Seulement moi, tout ce que je peux dire !… C’est pourtant pas que je veux te priver, oh non ! oh non ! c’est pas ça ! tu le sais bien d’ailleurs. Mais je sais pas comment faire, tu comprends ? Si encore ça augmentait pas tout le temps, ça irait, on se contenterait… » Arrivée là, il est près de cinq heures de l’après-midi. Elle s’arrête alors de broder, sans toutefois cesser de parler, de mouliner de la langue, de moudre sa farine, de l’épaissir de salive, à la colle. À ce stade, l’atmosphère est irrespirable. Du moins pour le fils. Lequel, pour remédier à l’asphyxie qui le gagne, boit d’un trait plusieurs verres coup sur coup, toujours aussi précis, méticuleux, assis droit sur sa chaise. Néanmoins plus lourd, plus compact. C’est également le point à partir duquel il commence à répondre. Pâteuse ment, en grognonnant des mots peut-être incompréhensibles mais si incessants qu’ils en tarissent enfin une mère occupée à ranger son fourbi. Elle les connaît ces mots qu’il répète toujours de la même manière, en enflant la voix parce qu’il croit qu’elle fait la sourde oreille, exprès. C’est pourquoi il ânonne, pourquoi il articule sa pâte de mots en débitant son chapelet, sans d’ailleurs s’énerver. Du reste il ne crie absolument jamais, tout ce qu’il dit, c’est à voix de confesse, monotone : « Ferme-là un peu, tu veux ? Tu chies. Tu vois pas que t’arrêtes pas une seconde de chier, là, non ? Ta rengaine, et patati, et patala. Tu chies, j’te dis moi, et ça m’emmerde. Alors fous la paix, fais ton bazar, torche-toi avec, si ça t’plaît, j’m’en fous moi, mais ferme-la que tu me chies d’ssus avec tes conneries… Punaise, va ! Punasse, à m’rendre la vie impossible, là, avec ta chiasse. Tu parles d’une vie qu’on a dans cette baraque ! Et c’te vieille pie qu’arrête pas d’chier une seconde, pia-pia-pia-pia ! Torche ! que tu te chies d’ssus ! C’est pas vrai ? Dis voir qu’c’est pas vrai des fois !… Pas un moment tranquille, faut qu’tu l’ouvres, ton clapet, qu’tu m’chies ! Saloperie ! saloperie ! Punaise ! voilà c’que t’es, une punasse… Une vieille toquée, une toquante, tiens ! une tocarde ! pac’que t’es toctoc, toi, duchnoque. Tu m’emmerdes punasse, ouais que tu m’emmerdes, voilà ! parfaitement, tu m’emmerdes, tu… » Assis terriblement droit, il a le cul dans la chaise comme une bouse dans un vase. De plus, le bourrelet du cou en déborde sur le col, sur la veste gris bleu. Il parle, les bras posés sur la serviette de table. Il parle menu en laissant choser ses mots, sans bouger, sans hausser, sans regarder. Il parle. Ses lunettes ne lancent aucun éclair, et il ne parenthèse sa logorrhée qu’en avalant d’un trait son verre qu’il remplit avec la même exactitude, sans trembler. Sauf qu’à ce degré d’éthylisme, son poignet raidi laisse rouler la goutte sur le goulot qu’il rattrape maintenant d’un coup lent de langue large, pour immédiatement continuer à dire qu’elle n’est qu’une sale punaise, qu’elle l’emmerde, qu’elle l’emmouscaille avec ses jérémiades, ses draps, ses taies, ses tout et tout, qu’il en a rien à foutre, lui, qu’il a bien d’autres martels en tête, lui, alors qu’elle décanille, tiens ! Oui, qu’elle ramasse ses nippes, ses pattes, ses chiffes, toutes ses saloperies et foute le camp… À cet instant, sans pourtant sortir de sa lourdeur ni de ses gonds, il a des gestes. Le premier, celui auquel s’enchaînent tous les autres, c’est celui du bras. Qu’il allonge tout en continuant à murmurer saloperies, saloperies, saloperies !, pour saisir un bout de  linge, de nappe, de n’importe quoi, et tirer. Il tire et laisse tomber par terre. Tout. Tout ce qui vient, tout ce qui suit, le fil, les aiguilles, parfois la boîte, sans tenir compte des plaintes de sa mère qui en essayant de retenir ses chiffons, geint, « non ! non ! pas ça ! mais pourquoi ? pourquoi ? », des larmes dans la bouche, dans les yeux, tandis qu’il tire, lui, qu’il suinte ses saloperies, saloperies !… Et les voilà à tirer le chiffon chacun de son côté, à crier à voix basse en se méli-mêlant : « Non ! non !… – Saloperies ! – Mais pourquoi ? pourquoi ?… – Saloperies ! – Non, pas ça, non-on !… » Ils font si peu de gestes que si c’était à la télé et qu’il n’y avait pas de son, on croirait qu’ils ne se font pas mal, qu’ils jouent… Dans ce jeu, comme elle n’est pas la plus forte, c’est elle qui finit par lâcher prise, de sorte qu’il fout tout par terre, tout… Scène quotidienne qu’ils répètent tous les soirs : elle, la tête dans les mains, ses larmes dans la bouche ouverte, muette ; lui qui attrape la boule du dernier drap qu’il flanque mollement sur le tas, « là ! »     souffle-t-il. Une scène sans bruit, sans casse, sans cri, sans jamais un mot plus haut que l’autre. Lui continue simplement à rabâcher ses : saloperies ! saloperies ! Après quoi il se verse un verre de vin, ras, net, léchant la goutte, saloperies ! saloperies !, qu’il boit d’un trait, lentement, et même laborieusement, tandis qu’elle pleurniche, se lève, cassée, noire, qu’elle s’appuie à la table, s’agenouille par terre, rassemble, ratisse, ramasse, qu’elle pose les choses sur sa chaise, essaie de se relever, n’y arrive pas, pleurniche, prend appui sur la chaise, se cogne… Saloperies ! saloperies !      suinte-t-il tandis qu’elle se remet sur pied, cassée en deux, miaulant encore un « mais pourquoi ? » qu’il n’entend pas, qu’il tabasse même avec ses saloperies ! saloperies ! d’autant qu’il se reverse un verre, lèche la goutte, saloperies ! boit d’un trait, le i droit sur sa chaise sans écouter ni voir qu’elle chialote en emportant son bazar à côté, dans sa chambre, qu’elle revient, toujours noire, plus cassée en deux que jamais, qu’elle remet en vrac dans sa boîte les bobines, les écheveaux de fils, les ciseaux, puis qu’elle se ragenouille en couinant à nouveau ses « mais pourquoi ? pourquoi ? qu’est-ce que j’ai fait ? », qu’elle balaye des doigts ses aiguilles, ses épingles, qu’elle se relève, qu’elle chiale, cassée, qu’il boit, qu’elle pleurniche, qu’il verse, qu’elle disparaît, revient, noire, cassée, qu’il lèche, repose, qu’elle va à son placard, qu’il boit d’un trait, qu’elle sort sa casserole, la pose sur le gaz, renifle, qu’il se lève, droit, la veste gris bleu boutonnée serré, qu’elle met à chauffer la soupe, qu’il va à l’évier, se baisse, ouvre, range le litre vide, en sort un plein, va se rasseoir… Rassis, le gros point de la tête vissé sur le i raidi, il fait silence avec celui du tic-tac du temps terre à terre à peine agacé par le glouglou de la soupe. Jusqu’à ce qu’elle pose, cassée, les assiettes, les cuillères, les couteaux, le morceau de saint-paulin, les « grosses pommes hors de prix et à cochon »… Ils mangent. Repas vite expédié : peu et pas bon. Après quoi elle débarrasse à petits pas, cassée en deux. C’est l’heure, ou plutôt c’est le degré de la journée où, très régulièrement, il se lève, droit, gros, large, rouge. Il se lève, va à l’évier, se penche à demi et vomit. Toujours dans l’évier, toujours, jamais à côté : comme il remplit son verre il vomit, le coup de langue sur le goulot étant remplacé par le coup de langue sur le museau. Peut-être qu’il vomit dans la vaisselle si sa mère n’a pas eu le temps de la faire ou de l’ôter, mais toujours dans l’évier, sans en mettre à côté. Il vomit à pleine bouche. Il remplit l’évier de sa vinasse dont l’odeur chaude s’élève comme celle de l’urine remonte du chiotte. Les deux mains appuyées sur l’évier, il vomit, sans bruit, sinon celui, organique, de la régurgitation. Un dégorgement immédiatement abondant, flux puissant qui flaque sur l’évier tandis qu’elle se tient debout, pas loin, cassée en deux, noire, une serviette blanche à la main, et qu’elle geint, qu’elle le plaint, qu’elle souffle, qu’elle fait à chaque spasme : « Ah mon Dieu !… Ah mon Dieu ! », ou bien : « Rah là ! là !… Rah là ! là !… », jusqu’à ce qu’il ait tout rendu, qu’il ait arraché la serviette… Il s’essuie, rouge, s’ôte les lunettes, se torche les yeux, rechausse ses lunettes, rote, rote encore, respire, soupire et, droit, boudiné dans sa veste de costume gris bleu clair boutonnée serré, levant anormalement haut les pieds, va se coucher dans son alcôve. Cassée, en silence, elle nettoie, range, replace à sa place au milieu de la table – parce que ça fait plus gai – la corbeille de fruits sur la toile cirée, et va ensevelir son corps cassé dans son lit pour économiser la lumière. »

 

© Guy Brémond, in Noria  

 

 

 

 

 

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4 juillet 2009 6 04 /07 /juillet /2009 06:10


Lorsque l’on parle d’un peintre, d’un musicien, d’un écrivain, on parle en vérité d'abord d’un poète. Ce qui sous-entend un homme essentiellement sensible à la beauté (rappelons que ce mot englobe un univers de beauté morale, physique et matérielle ; de bonté, de pureté, de perfection, d’achèvement ; un univers qu’un seul mot résume : l’amour, principe de création ; c’est pourquoi on parle d’âme, de fidélité, d’équité, de douceur, toutes qualités positives, progressistes, productrices d’énergie).

Le poète est le créateur, il chante ou pas. Dans ce dernier cas son silence est une partition qu’il est impérieux de savoir déchiffrer, de la même manière que l’on apprend à lire, écrire, parler. Pas forcément compter : tout le monde a rencontré un jour ou l’autre, ici ou là, un de ces cancres magnifiques qui, durant toute la durée de l’école obligatoire (très souvent buissonnière, la plus instructive), est resté divinement peinard au fond de la classe à se chauffer les fesses au radiateur, évitant soigneusement d’apprendre quoi que ce soit, mais qui sait parfaitement combien il a d’argent dans la poche et ce qu’on lui doit…

Le silence de la partition est une peinture qui chante. Le musicien parle de la couleur des sons ; l’écrivain dit qu’il peint tel personnage tandis que le peintre précise que ses couleurs chantent et que l’écriture de son dessin est cursive. D’ailleurs la calligraphie n’est-elle pas une chorégraphie et celle-ci un tableau dont la musique en dirige la scansion ?

Le poète est le chanteur du silence, il écrit comme le peintre chante ses vies silencieuses – qui en effet ne sont pas des natures mortes. Si tel devait être le cas douloureux, toutes les peintures seraient des choses mortes, les dessins des feuilles mortes. La poésie est la nature du vivant. Encore faut-il que le poète en soit un !

Mais plutôt que de s’occuper de toutes les supercheries, de tous ceux qui appellent vérité le mensonge, démocratie la dictature, bonheur le profit, expressivité la vulgarité et ainsi du reste, ne quittons pas le poète, le seul être qui, parmi tous les hommes de la même espèce sapiens et sous-espèce sapiens, a le pouvoir de porter l’humanité au sommet de tous ses progrès possibles. Étant entendu que par progrès il ne faut pas comprendre le développement de l’intelligence parvenue à améliorer la pointe de sagaie aurignacienne jusqu’à la transformer en chasseur-bombardier, puisque dans cet exemple occurrent l’intention et son résultat nihilisent ledit progrès.

Le poème ou le récit ; la sonate ou le trio ; la peinture ou le dessin, sont chacun une humanité tout entière qui affirme à qui est semblable à elle :

 

« Bele amie, si est de nus :

Ne vus sans mei, ne jo sanz vus »

 

“Belle amie, ainsi de nous :

Ni vous sans moi, ni moi sans vous”

 

Tel est le rapport fondamental qui se crée, qui se noue entre le peintre et son modèle, l’œuvre et le peintre, la peinture et… (là, on a l’embarras du choix entre le contemplateur, l’amateur, l’amant, le gourmet, le connaisseur…, sans vouloir jouer au cuistre, il est intéressant de savoir que le grec possède les mots exacts pour désigner de pareilles personnes, par exemple : +ilÒ!aloj : qui aime les belles choses, la vertu, la noblesse des sentiments…, ™rast»j : qui aime passionnément, qui est passionné pour quelque chose, et bien d'autres termes d’une égale précision) …et l’amoureux.

Lequel, s’il voulait expliquer son inexplicable amour pour cette peinture, pourrait fort bien se contenter de citer Montaigne (à propos de son amitié pour La Boétie) : « parce que c’était lui, parce que c’était moi ».

Or c’est bien ainsi que Guy Brémond regarde, embrasse le monde jusqu’à l’intérioriser pour en restituer le merveilleux. Le tragique de l’existence consiste à passer à côté de la merveille sans la voir, pour passer sa vie, un interstice de temps, à tumultuairement se fabriquer des ersatz sur le modèle des aphrodisiaques jugés plus efficaces que le sentiment amoureux.

 

 

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3 juillet 2009 5 03 /07 /juillet /2009 06:30


Chaque instant en est un de beauté. Si l’instant suivant n’en est pas un, alors c’est un faux, c’est l’un de ces instants préfabriqués qui donnent le change. Ainsi, si Guy Brémond peut donner  de la beauté à vivre, c’est parce qu’elle vit en lui. C’est elle, en effet, qui a la faculté, la capacité et le pouvoir de rendre beau ce qui ne l’est pas pour les autres. Lesquels sont souvent étonnés devant une peinture qui les torture à la manière des caresses exhaustives de l’amour. Mais comme ils sont bien souvent sous mauvaise influence – la rhétorique viciée sinon vicieuse du discours ambiant qui bourre tous les crânes et que tous les médias propagent avec perfidie par perfusion –, ils ne s’exclament pas innocemment : “C’est beau !”, ou “Je vous aime !”, mais susurrent avec une volubilité plus cérébrale qu’orale : “Pas mal !”, ou bien : “Ah si ! c’est chouette”, ou “Alors, on baise ?”, quand encore ils ne succombent pas à l’écriturière affectation du baragoin des soi-disant spécialistes, dont la liste ne saurait jamais être complète tant ces Janus ont des visages de caméléon…

Pour Brémond (parce qu’à force de fréquenter sa personne, ses livres, ses peintures, on arrive à connaître, par imprégnation, sa pensée, sans qu’il soit indispensable de le contraindre à parler, puisqu’il n’aime pas trop ce moyen direct dont on abuse…), on ne peut vivre qu’en fabriquant de la beauté. Pour vivre intimement avec. Sinon tout est laid, et alors à quoi bon ? C’est d’ailleurs là qu’intervient à nouveau l’hypocrisie (dont on ne peut se passer). Laquelle invente des degrés qui vont du beau au laid comme du chaud au froid, du blanc au noir et comme tous les extrêmes qui ne se touchent que par ce tour de prestidigitation. Mais ce n’est pas tout, car la gueuse a plus d’un tour dans son sac à malices : pour remporter la victoire haut la main, elle n’hésite pas à qualifier ses degrés, ses tiédeurs, de « juste milieu » (pervertissant ainsi sans vergogne la pensée d’Aristote, des Humanistes…), en ajoutant avec l’onctuosité académique, ecclésiastique ou diplomatique, et sur un ton de feinte sagesse (qui la trahit !), qu’il faut relativiser, qu’on ne peut pas toujours vivre sur les sommets, etc., etc. Cette munificence de petitesse prévaricatrice obtient toujours le pompon parce qu’elle caresse dans le sens du poil, court dans le sens du courant, hurle avec les loups, bêle avec les moutons…

Alors qu’en réalité, on ne se sauve, autrement dit on ne parvient à vivre qu’en produisant le plus grand effort d’amour. Aller dans le sens du courant, de la tiédeur, c’est aller à coup sûr dans le sens de la mort – de la laideur, de la vanité. La vie résiste à la mort en vivant au maximum, puisque même ce que l’on appelle ses temps de repos sont des accumulateurs d’énergie. Or j’ai devant les yeux une aquarelle… Une seconde, je la mesure… Voilà, de trente par quarante (centimètres). Elle représente une haie constituée de buissons et d’arbres qui baignent dans un ciel du soir déjà presque parvenu au bord de nuit. Elle est en si mineur. L’harmonie est sourde ; toutes les couleurs sont rompues, depuis le bleu vert jusqu’au vert brun. Je l’ai constamment devant moi ; son acquisition date de 1976. Certains prennent régulièrement du charbon végétal pour lutter contre les gaz intestinaux, d’autres du magnésium, d’autres de la vitamine C, etc. Sans doute, le corps a besoin de ces substances. Moi – et Georges Dureau, Gabriel Vartore, Jean-Claude Czyba… –, je prends régulièrement de cette aquarelle, substance de beauté qui lutte efficacement contre les gaz sociaux, délétères à quatre-vingts pour cent. Cette œuvre est le résultat patent d’un effort maximum, qui plus est incessant, considérant que ce qui m’est profitable est cette vie qui ne cesse de se déployer sans jamais se recopier.

J’aurais peut-être pu parler d’un autre peintre, d’un autre poète. Ce n’est pas le cas. Outre l’amitié, Guy Brémond a cela de généreusement attachant que ce qui lui permet de vivre lui permet ipso facto de faire vivre en nous une réalité qui nous émeut, nous enchante, qui déclenche des sentiments dont l’authenticité nous entraîne jusqu’aux rêveries nécessaires, si délectables.

    

 



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Il n’est peut-être pas tout à fait inutile de montrer le visage de l’homme auquel ce blog est consacré. L’esprit ayant besoin d’un support physique, grâce à l’intimité duquel il sait parfaire sa connaissance. La photo ci-contre date des années 1970.

 

 

 

 

 

 

 

 

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