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22 juin 2009 1 22 /06 /juin /2009 06:18

 

           Notre sœur la mort a toujours vendu la mèche. Ce n’est pas tant cette seconde nature qui est à craindre que la première : la nature humaine. Lorsque celle-ci, effrayée, effarée, affirme que la mort est brutale et barbare, elle omet de s’avouer qu’elle passe sa vie le cerveau bien planqué dans son pot de fleurs, pour beaucoup sans fleur, un pot de terre qui rappelle irrésistiblement la fosse qu’elle craint si bien… Comme si moutonner, perroquettiser, singer ne lui suffisait pas, il faut en plus que cette nature humaine s’autruche inhumainement : sa peur justifiée parce que pensée lui cache la simplicité radicale sous une montagne de complications, indéplaçable.

         Guy Brémond a peut-être l’inestimable don de discerner, de peindre et d’écrire la simplicité avec simplicité. Il ne cherche pas, et n’a jamais cherché à déplacer une quelconque montagne. Aussi ne se fait-il jamais une montagne des choses qui sont à hauteur d’homme.

          Pourtant il faut mourir… Mais en cela comme en tout, ne tombent jamais de haut que ceux qui se croient plus qu’ils ne sont. C’est une affaire de mesure. Un tableau, une musique, un poème, s’ils veulent atteindre à la grandeur humaine, doivent impérativement se soumettre à une règle d’or, laquelle n’est pas autre chose que la mesure de la beauté.

         Non pas le mètre étalon tatillon qui est toujours le maître à penser et à faire de la peinture académique, qu’elle soit figurative, abstraite, hybride ou tout ce qu’on voudra (et Dieu sait qu’on en veut !), mais la mesure de l’émerveillement qui fait régner le silence. Celui qui a fait l’expérience de l’amour le sait : l’être est alors une étoile à neutrons qui faute de pouvoir parler jette sa bouche pleine de silence sur celle qui le lui rend si bien qu’il émane de ce couple une musique céleste (qu’il est seul à entendre).

          On a dit avec quelle tranquille jubilation Brémond exprimait le réel avec la même évidence que celui-ci existe. Or en ces années où le passé, dépassé par la somme du présent, lui revient sous la forme d’une vérité définitive (la mort), ce réel devient sous son pinceau ou sa plume une manière de tristesse enchantée, de mélancolie bienfaisante. Nous l’avons éprouvé personnellement en lisant, en restant longtemps attentif devant telle ou telle peinture de Guy Brémond. D’autres ont éprouvé pareil sentiment, d’autres encore l’éprouvent.

          Ce qui était le cas de Jacques Oudot qui, quelque temps avant de mourir, lui écrivait : « Merci mon cher Guy pour cette très belle lettre ouverte devant mes yeux. Je t’y retrouve pleinement dans toute ton exigence d’attention… » Bien que nous soyons peu à bénéficier de la beauté attentionnée dont dorénavant rayonnent toutes ses peintures (de moins en moins nombreuses, bien qu’il travaille exactement tous les jours), chacun de ses poèmes, ce peu se fait assez actif pour espérer qu’un plus grand nombre de personnes se donnent bientôt la peine de jouir d’elle.


            Brémond ressemble aujourd’hui à une espèce de paysan miraculé, puisque resté innocent. Il faut dire qu’il a l’art de passer systématiquement inaperçu. Il a aussi celui de se chapeauter la tête dans un incroyable passe-montagne qui a le pouvoir, sans pourtant l’envieillir, de le camoufler au point qu’il est impossible, lorsqu’il s’enfonce, adorablement solitaire, dans une terre ou dans un bois, de le distinguer d’entre les arbres ou les sillons de la terre. 


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21 juin 2009 7 21 /06 /juin /2009 06:09


    Lorsque Guy Brémond s’exile en quittant le monde sans mot dire ni écrire un mot, laissant les “Pleins feux ” illuminer une scène sur laquelle ne restent de lui que des âmes pendues haut et court aux cimaises, c’est avec une femme et deux enfants dans une 2 CV (qui fera le régal de deux gendarmes bouche bée). Il a trente-trois ans et tout en s’effaçant la ligne de vie, il vit déjà sa propre montée vers la lumière.

    Lorsque Gabriel Vartore-Néoumivakine lance à la volée (sans le geste auguste du semeur puisqu’il n’est pas à la campagne mais dans la ville, ce qui change tout) des poignées de dessins et d’aquarelles, le même Guy Brémond, qui a transformé sa terre d’exil, sinon en terre natale du moins en mātrix (mater), en m»thr, mère, en terre-mère, en terre d’accueil, aussi bien utérus que sépulcre, y œuvre toujours avec une femme, mais quatre enfants.

    Tous travaillent à leur destinée. L’aîné, dont la naissance est contemporaine de l’exposition chez Roger Kowalski, est un œil ouvert dans l’oculaire d’un télescope, puisque c'est un amoureux des étoiles et un astronome attentif à se délecter plutôt que d’exploiter ses savoirs et savoir voir. 1975…

    Le 7 février débute Galerie K,  l’exposition ; le 7 mars naît l’enfant. Durant l’été, Brémond effectue un voyage en pays inconnu. Il en revient chargé de dessins, d’aquarelles, de peintures. Un ensemble qui après élagage montre un calme si souverain qu’on se surprend à prêter l’oreille à on ne sait quel chant, quelle mélodie, un silence ni gai ni triste, quelque chose de beau comme une sérénité sans légende, solitaire, personnelle… Une beauté dont la retenue est telle qu’il faut, pour en être touché, pour en être l’élu, pour en saisir l’impondérable prégnance, s’abstenir de toute curiosité, et même cesser complètement de la regarder afin que le seul souvenir qu’elle déclenche la révèle enfin, plus intime et donnée que si on l’avait disséquée, analysée, explicitée, reluquée… C’est un extrait d’elle, qu’en allant rendre visite à Roger Kowalski, hospitalisé, Brémond lui offre à boire à petites gorgée. Le 6 septembre Roger Kowalski est mort.

    Si en 2004 quelques rares œuvres de Brémond – homme oublié, peintre enseveli, écrivain ignoré – apparaissent, si entre autres choses un livre paraît (narrant l’aventure d’un homme qui se fait clochard, chemineau, jusqu’à l’accomplissement d’un – pseudo ? – meurtre rituel), lui revient de cette même ville l’annonce d’une autre mort : celle de Georges Dureau.


    Fragment de ce livre :

 

    « On parle bas, on dit ci, on dit ça, on répond, ou pas, on feuillette les partitions, on sort les instruments à cordes de leurs étuis, on les fait sonner, on s’accorde, on commente, on les repose, on prête l’oreille à Élise qui, elle aussi à voix contenue, parle d’une Étude en trois parties pour le violon avec un accompagnement de piano très réduit, très sobre, exigeant un toucher délicat, ferme, etc. Lucien est sans voix. Il se tait pour mieux regarder afin d’écouter comme on croit : les yeux fermés. De même que la jouissance amoureuse ferme les yeux de la chair surexcitée, la jouissance de la musique ferme la même chair à tout ce qui n’est pas elle. Dès lors, toutes ses facultés, la vue, le goût, le toucher, l’odorat, l’intelligence, le sixième sens, le septième et les autres se concentrent en un alliage dont la caractéristique est de supprimer toute distance entre la musique et lui. D’ailleurs en de telles circonstances, son âme s’installe toujours aux premières loges, comme le pétoncle d’un sonotone dans le conduit auditif. Une chose est sûre, la musique, à moins de la chasser, répudier, tuer, embrasse totalement. Et elle comble. Car elle se donne intégralement, jamais elle ne garde la plus petite note. De ce côté-là, comme de tous côtés, elle est bien la sœur consanguine de la poésie et de la peinture qui elles aussi se donnent entièrement, comblant qui les comble comme un sexe comble un sexe. La puissance de la beauté n’est féconde qu’en prenant racine à l’intérieur de la puissance d’émerveillement. Aussi la musique entre-t-elle en Lucien comme l’amour, comme le sexe qui donne tout : pour n’en plus jamais sortir. Définitivement, ad vitam. Plus de musique dans la pièce ! Ne restent que les instrumentistes. Lesquels, décontenancés, cherchent un instant, l’air un peu bête, par quel point de fuite l’œuvre a pu s’escamoter… Naturellement ils ne trouvent pas. Seul Lucien sait qu’il est ce point en question, infime comme un point dans le corps d’un livre, un point minuscule mais ouvert et par lequel s’engouffre et s’évade tout le contenu de l’ouvrage. Partout où il se trouve, s’il naît une musique, une forme, un poème, une équation, un paysage, un monument, une peinture, une pensée, un homme, une suggestion, une femme – dont l’expression a la force de la beauté – il s’ouvre aussitôt si bien à elle que la pièce, la ville, le monde se vident de tous leurs chefs-d’œuvre. Là, il regarde d’abord. En l’occurrence faire Élise, dont il apprécie l’adresse, le tact, le savoir-faire. Tout un service de diplomatie à elle seule. Au surplus femme agréable, efficace, charmante. Il regarde également faire monsieur Dury. Un homme peut-être exagérément vieux, mais sérieux et studieux comme un excessivement jeune marié. Lequel violoniste n’écoute d’ailleurs plus la voix affable d’Élise, mais celle que déjà ses yeux épousent en lisant la partition. Une voix qu’il traduit aussitôt d’un archet vif et retenu, nerveux et léger, tranquillement ardent. Une danse lente, puis moins lente. Puis presque rapide jusqu’à bientôt accroître l’intrépidité de ses rythmes. Scansions pareilles à un buisson ardent au milieu duquel un rechant lent s’allonge. L’air étincelle. Bientôt le chant s’amuït, aigu doux et ténu qui se replie par les ouïes dans le vieil amati, pour s’y clapir en s’enlaçant au pivot de l’âme, mélodieux. Brusquement, tout cesse, et le violoniste, comme pétrifié par cette fontaine sonore sortie à l’instant de son instrument, semble se ramasser… Pour soudain reprendre le faisceau de phrases, le redéployer, tissu plus formé, dessin plus sobre, coloris subtil, suggestive aquarelle. Mais il s’arrête à nouveau, hoche la tête, et de toute la double longueur du va-et-vient de l’archet, déroule avec une lenteur intense un chant grave que les quatre doigts cursifs de sa main gauche calligraphient dans une écriture large et ronde. Trait long, à peine ondé d’un vibrato court, mais doué d’une force à faire fondre des montagnes d’insensibilité. Un trait qui atteint le cerveau de Lucien, puis en fouaille l’abdomen, remonte en pétrir le cœur qui alors, d’une contraction de parturiente, l’expulse jusqu’à ses poumons qui l’expirent en cri tendre… Monsieur Dury s’arrête net. Un arrêt dont le silence tranchant tranche dans le vif le membre exquis. Amputation barbare. L’homme de l’art pose son violon. Et immédiatement, parce que Lucien qui attendait la suite ne les a pas dérobées, toutes les notes, globules rouges et globules blancs, atomes crochus et leurs clefs, refluent en masse dans la caisse, vidant l’atmosphère… Un vide qui n’est pas un silence, mais une absence. Comme si le livre lu aspirait tous les mots du poème, ou le tableau ses lignes et couleurs. Pour n’être plus, l’un et l’autre, qu’un crâne vide posé sur la table, immobile. Une nature morte. Toutefois cet arrêt sur son et lumière est suivi d’une sorte de pantomime exécutée par une Élise au piano qui joue comme on joue à la marelle. Jeu d’enfant qui entraîne promptement le violoniste qui, lui, joue comme on joue à colin-maillard. Un double jeu dont le pathétique est imprévisiblement accru par les quatre ou cinq onomatopées qui le court-circuitent, lesquelles sont un peu ce qu’est au film muet la musique du virtuose placé dans l’ombre. Quant au jeune d’Orcenat laissé seul assis sur son siège, bien qu’auditivement attentif, il s’occupe, désinvolte et follement captivé, à promener sa main compétente sur les cordes d’un violoncelle dont le corps, blond de la blondeur des femmes de Titien, est nonchalamment appuyé sur sa cuisse gauche. Lucien ne l’observe que parce que de toute évidence ce musicien ne pelote pas distraitement son violoncelle. C’est rigoureusement impossible. Lucien en est sûr. Il a trop vécu, il vit trop chaque jour une passion dont la caresse est aussi bien la question que la réponse pour ne pas être au parfum. Caresse d’ailleurs invisible. Heureusement, car il s’agit d’une caresse qui ferait geindre de volupté tout homme assez Tristan pour aimer vraiment. Et une caresse qui, s’il n’était ici, lui ferait fermer les yeux de confiance, pleurer d’espoir, frissonner de peur, soupirer de soulagement et même ouvrir la bouche pour crier encore, pitié, encore ! Bref. Or le visage de ce jeune d’Orcenat exprime précisément ce que procure ou inflige une telle caresse. Car il s’agit sans conteste possible d’un visage éprouvé par l’insatisfaction du désir que celle-ci seule pourtant comble. Certes, physiquement, ce visage ne sourit, ne pleure ni ne frissonne ou soupire. Il ne crie pas non plus, il ferme seulement les yeux sur un pêle-mêle d’émois. Émois que cependant Lucien voit se mouvoir sous son épiderme comme le globe oculaire roule sous la paupière close… Or à l’instant même, un glissando truité coulant du piano le happe et l’emporte avec tout un peuple de feuilles bleues qui s’agitent en bruissant. Un bruissement qui s’avance, qui s’évase, qui en un lent crescendo s’élève pour se voûter en clameur large, suspendue, immobile, exosphère. Tandis que glisse, volatile et déliée, une main d’ombre pianissimo, mouvement fluide, battement souple d’or mat et mordant sur l’ondulation duquel s’avance un violon qui stridule sous le gant de crin de la crainte. Stridence bientôt si charnue qu’elle charme ce serpent d’or surgi du clavier, raidi dans son croît et oscillant d’une tête aiguë, toujours d’or gras mais battu jusqu’à beurrer l’aigu obsédant du violon. L’âme s’étire alors le mince fil lisse. Et s’installe un étang vert, l’équanimité. Que cingle soudain un nerf sinueux comme un coup de fouet… La voix se casse, qui néanmoins chante, cassée, chante à cloche-pied, tombe, s’écrie, chante son rechant et se récrie encore pour finir par tomber en poussière d’élytres. Aussitôt nuagée par la main ronde qui dans l’eau profonde remue au piano tout un monde aqueux, roui comme un sang lourd dans une gorge blonde. Ce n’est pas la chanson des blés d’or, mais celle des chairs qui, déchiffonnées sous l’épaisseur crémeuse de la terre, ont encore la blancheur épaisse des laits voluptueux. Une beauté que Lucien boit à même la voix, la bouche, le chant, le sein, le son, le sang, buvant à même cette gorge que l’archet égorge et dont la main au piano baise les lèvres d’ébène et les dents d’ivoire. D’Irène. Volupté cambrée sur la corde raide, funambule, long diminuendo, point d’orgue qui lentement s’enfonce dans les lointains blêmes, volupté qui va s’éteignant, lent coulement dans le corps de Lucien, vase canope dans lequel, mouvement perpétuel, cette convolvulacée l’enlace de son ventre frais. »

 

© Noria, Guy Brémond 

 

 



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20 juin 2009 6 20 /06 /juin /2009 06:18

 

    Mais une suite, dont il faut distinguer, d’une part la permanence du même chemin escarpé en direction du même absolu qui est du seul ressort de Guy Brémond, et d’autre part la mise en évidence du résultat de cet effort qui elle, en revanche, doit tout à celui de ses amis, Gabriel Vartore-Néoumivakine, qui s’est sans relâche dépensé sans compter pour la reconnaissance de cette œuvre.

    C’est lui qui, en effet, déclenche le processus, disons socioculturel, de la redécouverte du peintre et de la découverte de l’écrivain. Précision qui a son importance : Vartore est aussi le seul à être resté (par quel mystère et quel miracle ?) en relation avec l’homme Brémond.

    C’est ainsi que circulent bientôt des aquarelles, des dessins, des encres, des gravures, des textes. Une circulation qui s’effectue sans bruit, de la main à la main ; circulation grâce à laquelle on se fait en quelque sorte la main et l’œil. Si ce sang neuf ne fait pas rapidement ce qu’il est convenu d’appeler boule de neige – phénomène de grossissement plus souvent analogue à la boulimie du gastrolâtre qu’à la dégustation du gourmet –, ce doit être vraisemblablement dû au fait maintes fois observé que dans une population, quel que soit le milieu, le niveau, la classe, la culture ou le standing sollicité, le bon sang ne saurait mentir est toujours minoritaire.

    Brémond, quant à lui, ne circule pas : il n’existe que par ces feuilles volantes que ne ramassent pas à la pelle (et pour cause ! si elles battent des ailes, c’est pour se poser en silence sur une table, entre deux tasses de café…) les quelques-unes et quelques-uns séduits, sinon même enchantés, par la beauté – qui se reconnaît à ses qualités de clarté, de simplicité, de modestie et de bon sens ; pas étonnant que la beauté soit féminine puisqu’elle est synonyme de pudeur…

    Des feuilles donc de prix, ou sans prix, comme on voudra, que l’on regarde ou lit selon ce qu’elles transportent et transmettent sur leur face visible. Il est vrai qu’elles se donnent comme des amantes plutôt qu’elles se vendent comme des hétaïres. Elles ne se donnent cependant qu’à ceux qui ne les prennent que pour se donner à elles : des oiseaux rares. Rares, en effet, sont les êtres qui ont le courage et l’audace de joindre au présent qu’ils font d’eux l’hommage de leur avenir.

    Paraît parfois un poème, qui n’est pas de Brémond, mais qu’il a illustré d’une gravure. Mais nulle peinture.  
   Toutes les villes sont des déserts, ce pourquoi y fourmille une espèce humaine en voie d’expansion qui, comme les batraciens dans leur mare, a toujours les yeux à la surface de son enterrement. Or les bains de silice ont le don de lapidifier le corps jusqu’à la moelle – ou l’âme, si l’on préfère. Sans doute est-ce la raison pour laquelle ces villes tentaculaires, comme les appelait Verhaeren (en 1895), sont des sarcophages trop affamés de chairs pour laisser la moelle, l’épinière et l’encéphale – ou l’âme, etc. –, se refaire les neurones et les nerfs en buvant le sang frais d’une gravure ou la liqueur d’un plafond de lumière. Les villes ont les dents longues, qui cassent les os jusqu’au crâne qu’elles jettent contre ses murs pour en lécher ensuite ce genre de peinture de genre, historique, allégorique ou mythologique… Leurs journaux sont des sarcasmes.

    Guy Brémond ne lit pas les journaux, ne regarde pas la télévision, pas plus qu’il n’écoute la radio. Où il se trouve, il ne peut qu’écouter, regarder et lire la beauté : il n’y a rien d’autre. Et si les mots ont un sens ; si l’on s’interdit de suivre ce qui se dit, se voit, s’entend, se fait, se pense, autrement dit le sens de la pente, le contre-sens ; si l’on n’obéit pas à l’injonction selon laquelle il n’est plus à la mode d’être intelligent, alors on peut affirmer qu’en accomplissant son œuvre dans la solitude et la simplicité, Guy Brémond, qui n’a cessé de féconder la beauté, a l’art d’accoucher l’amour.

 

 

²

 

 

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19 juin 2009 5 19 /06 /juin /2009 05:25


            C’est donc tous feux éteints que Brémond continue a gravir le chemin escarpé de son existence. L’oubli ne le gêne absolument pas, il compte même un peu sur lui pour que s’épaississe l’ombre dans laquelle se meut son ombre.

Une épaisseur parfaite, puisque cette planche de salut résiste à vingt-sept ans d’us et d’usure. Pas vingt-huit, mais vingt-sept, parce que vingt-sept lui suffisent pour parvenir à son but. Provisoire, bien entendu – à part la mort, il n’y a rien de définitif, pas même l’univers dont les tenants et aboutissants, en dépit de ce que l’on en sait, suppute et subodore, demeurent ensevelis dans les limbes d’une physique qui reste à inventer.

Mais vingt-sept ans passés à être et faire qui et quoi ? Sans doute, un biographe scrupuleux, menant aussi méthodiquement que méticuleusement son enquête, répondrait aisément à cette question double avec toutes les précisions requises : lieux de résidence, durée de séjour, activités, maladies, naissances, décès, mariages, etc. Une telle chronologie, augmentée d’une description détaillée de quelques journées-types et des renseignements sur ceux des comportements professionnels, civiques et religieux les plus caractéristiques, ne ferait en vérité que photographier un gisant pourvu d’une carte d’identité ficelée à son gros orteil.

Ce qu’il est et ce qu’il fait n’est pas même à deviner et pas plus difficile à connaître, autrement dit à comprendre. À condition toutefois, c’est l’évidence, d’aimer la beauté et toute la chaîne de ses conséquences. Pour qui a vu la peinture de Brémond, pour qui l’a vu peindre de 1975 à 1977, sait de source sûre que l’homme et son art ont été mis en pratique. Le paysage et le visage ne font plus qu’un seul personnage sans âge, une personne dont la vie intérieure remplit de telle sorte le monde extérieur, que le monde dans lequel Brémond vit est un monde intérieur.

Il y a fort à parier que nul n’a perçu ni ne perçoit cette réalité. La disparition de Guy Brémond équivalait à un perdu en mer par gros temps. Or aussitôt qu’un homme est perdu de vue, il est perdu de vie. La sienne ne s’en est pas même frotté les mains, sûr qu’il n’a plus eu que le temps de ne pas en perdre une miette. Dire que pendant vingt-sept ans il n’a pas écrit une ligne ni peint un millimètre carré de toile, c’est encore trop peu dire : il a vécu ce que s’il avait peint ou écrit il n’aurait jamais pu vivre ce qu’il a écrit et peint ensuite. Une lapalissade qui exprime fort bien l’extrême rareté d’hommes capables d’aller jusqu’à l’extrême limite de l’harmonie, de la mesure, de l’équilibre, de l’ordre, ce qui suppose d’ailleurs un intense enthousiasme pour les appliquer quotidiennement. La suite en est la démonstration.

Puisqu’il y a une suite à 2004, une continuité, une perpétuité (d’aucuns n’hésitent pas à parler en cette matière – amoureuse puisqu’il s’agit de beauté – d’éternité) qui est l’accomplissement de l’une des inscriptions gravées par les sept Sages au fronton du temple de Delphes : “rien de trop” (mhdn ¤gan).

 

 

Séquelles

 

 

« L’ombre, la nuit, le noir, les ténèbres, le sombre, le nocturne… Autant de lieux étranges qui, en six mois à peine, sont devenus pour lui son milieu naturel. Cavernicole. Il ne sort plus de ce crâne posé sur l’étagère de ses épaules. Il y est enfermé, verrouillé, écroué.

Il n’est pas même un hibou branché à son arbre : il ne sait pas hululer. Il est une absence dans le silence comme le sable est dans le béton. D’ailleurs il ne mange plus que ce qu’il sécrète. Non pas une pensée, un raisonnement ou un rêve, mais un souvenir enfoncé dans sa vie comme un poignard à lame de miel. Si bien qu’il ne fait plus que se dévorer l’intérieur, se manger la moelle de l’os rond. Son goût, sa passion, sa manie.

À le voir – mais qui le voit, qui vient, qui peut venir le voir là où il est ? –, la première idée qui s’impose est celle d’un oiseau rare. Un drôle d’oiseau. Gris. Un tas de cendres aux yeux vides, debout, bras ballants ; un tas au regard perdu qui attend on ne sait quoi ou qui.

Il ne remue pas, ne remue rien, ne mue pas non plus. Il est le contraire du Phœnix : il refroidit ses propres cendres en ne survivant que dans son ombre. C’est du reste un être très obscur qui fait si bien corps avec sa consistance crépusculaire que faute d’éclairer à l’aide de projecteurs puissants le trou noir de ce crâne, on le croit absent. Ce qui n’est pas le cas. Car il est bien là, tapi, clapi, terrien enterré dans son terrier. Même ainsi démunie du nécessaire, cette caverne est le seul endroit où il ne subit pas de revers, de jugement, de condamnation, de rejet, de refus, d’exclusion, de négation. Là, et là seulement, il a encore la sensation d’un certain moelleux, un duveteux, un onctueux, comme si un dieu quelconque l’enveloppait de plumes. Vraiment un drôle d’oiseau, en effet !

Et ce n’est pas qu’une image, une manière de dire, oh non, du tout ! Il s’agit vraiment d’une réalité constatée, vue, visitée, excursionnée, touchée des dix doigts. Bien qu’en vérité toutes ces vérifications ne sont après tout que des impressions de spectateurs, de voyageurs, de vendangeurs, de voyeurs. Même si certains se piquent d’ethnographie, de sociologie, de psychologie, psychiatrie, psychanalyse et autres spécialités indigènes ou exotiques. Non seulement il s’en fout, mais il les fout à sa porte en les ignorant, comme on laisse à leur crasse les ignorants, qu’ils sont.

Il est vrai qu’il est à son affaire, et que pour ce faire il n’a nul besoin de témoins. Qui le dérangent. Il n’a besoin que d’obscurité. Autrement dit de nudité, de vacuité. Toutes les sortes et espèces. Il ne supporte plus le plein, l’épais, le lourd, le poids, le gros, le gras, l’opaque, le compact, le massif, ni la force et tout ce qui s’ensuit. Cet homme des ténèbres est dorénavant celui du délié, du vide, par conséquent de l’anonymat, de la solitude, du silence, de l’abstinence, de la continence. S’il existe, c’est dans la finesse, la sveltesse, le léger, le menu, le subtil, le raffiné, la délicatesse… Il est un plus léger que l’air, un ultra-léger, au contraire des gros-porteurs. Bref, un drôle d’oiseau.

Qui vit désormais les yeux fermés. Plus exactement, les yeux ouverts à l’intérieur de son crâne, dans son trou noir. Parce qu’il a une vue essentiellement nocturne. Donc il voit loin, voit haut, voit profondément. Ce que bien entendu les ignorants ignorent, eux qui savent tout ce qui se voit en plein soleil. Or ce sont justement ces hommes de poids, de sérieux, de gravité, d’efficacité, d’action, de bruit, de fonction, de place et de course à la hussarde (mais pesants comme des joues, des fesses et des ventres élus par celles des femmes qui ne sont sensibles qu’à la quantité de peinture sur un chef-d’œuvre), qui sont une des causes pour lesquelles il s’est, toutes affaires cessantes, scellé dans sa tête de mort.

Ce qu’il y fait ? Rien, justement. Et surtout pas d’y cultiver son jardin, secret ou public. Il n’a pas de jardin, il n’a que ce crâne, ce pot de terre. On l’a dit, il attend. On redit : rien. Pas plus son heure – et laquelle dans ce cas, sa dernière, la première, la bonne, la mauvaise, la fugitive, la chaude, celle du berger ? – que quelqu’un, quelque chose ou quelque sort. Non, il attend.       Peut-être que le jour disparaisse enfin du monde, que toutes les lumières soient vaporisées… ? Mystère. Cet oiseau de nuit est décidément impénétrable.

Répétons-le, un volatile qui ne ressemble que d’excessivement loin à un hibou. D’abord parce que ce n’est pas un rapace, pas un chasseur, pas un carnassier, pas un carnivore. Il a bien trop longtemps été le gibier, la carne pour carnassière ! Qui plus est, gibier laissé pour mort, abandonné, parce que repoussé après avoir été attiré dans un rendez-vous au cours duquel il fut examiné, disséqué, pesé, mesuré, jaugé et jugé inapte, inadapté, incompétent, insuffisant, insignifiant et indigent. Rien que ça. En un mot, il ne faisait pas le poids. Soi-disant qu’il était fragile. Lui qui était aussi viril qu’agile ! Contrairement aux mastiffs noueux, aux musculeux viandeux qu’on lui avait préférés haut la main…

Depuis il vit dans l’ombre. La sienne, pas dans une ombre portée par un autre, distinguo. Tout ce qui ressemble à du soleil, à du rayon d’huile, à de la chaleur, du rire, de l’éclaboussure de mer des Caraïbes, ou à des fleurs éclatantes de Nouvelle-Calédonie le blesse, le torture et le martyrise. Tout ce qui a figure humaine le persécute. L’extérieur du monde n’est plus pour lui qu’une pelure de tyran qui se fait prendre pour un dieu et rendre un culte. Si du moins la nuit ne le préserve pas des pillards, des riards, fêtards, criards, soudards et autres escobars (fortes têtes cultivées au point d’être les préférées des dames collectionneuses de tels coups de cul), la nuit du tombeau le protège du seul visage humain encore capable de l’attirer jusque dans le gynécée de son regard, dans l’ovaire de ses lèvres, l’ovule de sa douceur, de sa tendresse…

Une femme dont il a peur. Aussi met-il les bouchées doubles et se dévore-t-il sans mâcher les mots, s’arrachant des morceaux, avalant tout rond sa chair dédaignée, sa mémoire avivée d’un souvenir amalgamé à cette femme qui de deux mots l’a réduit à merci. À rien.

Si bien que depuis, claquemuré nuit et jour dans son crâne, il se mange la cendre, le tas gris, la matière grise. Il bâfre l’indigent, engloutit l’insignifiant, boulotte le fragile et le fluet. Cavernicole. Muet, sans muer ni remuer. Miné.

Or un jour, peut-être celui des morts, cette même femme, probablement poussée dans le dos par la main d’un supposé regret, cousin du trop tard, décide de se rendre jusqu’à l’établissement où l’oiseau rare en question croupit dans sa cage.

Elle demande à le voir. Requête à laquelle on ne fait nulle objection. Toutefois, en la conduisant vers la pièce qui le contient, on la prévient que cet homme est aujourd’hui totalement muré, qu’il est quelque chose comme un sable arrêté dans son sablier…

On lui ouvre la porte ; on la laisse. Elle entre. Il fait noir, il fait lent. Un silence ou un cilice, elle ne sait. Elle attend pour voir que son œil s’accommode. C’est long. Ton sur ton. Flotte une légère odeur de chlore. Enfin elle aperçoit dans ce gris une masse grise ramassée au milieu d’une table. Elle s’approche.

Et voit une veste, ou un blouson, disons une veste appuyée des deux coudes sur la table à laquelle elle est assise, une veste immobile avec deux mains crispées sur le col, une veste, un col sans tête, sans tête… ! Une tête, comprend-elle bientôt, entièrement enfermée dans la veste, enfermée dans la veste boutonnée jusqu’au col avec les mains crispées dessus pour l’empêcher de sortir…

Depuis, cette femme vivrait repliée dans cette vision qui, dit-on, remplit entièrement l’espace clos de son crâne. Elle resterait nuit et jour recroquevillée dans la veste grise de ce hibou aux pattes crispées, deux pattes qui l’empêcheraient de sortir de cette veste où une ombre triste la dévorerait en arrachant des bouchées… »

© 2005 Guy Brémond


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18 juin 2009 4 18 /06 /juin /2009 06:56

    Mais Brémond n’est déjà plus là. Il y a plus d’un mois qu’il a fui, sans un mot ni un mot d’écrit. Il ne reviendra plus jamais à Lyon. Les “Pleins feux sur Guy Brémond” s’inaugurent sans lui. Ce sont ses amis qui s’occupent de tout, du choix des peintures, de leur transport… Il a disparu.

    Ce qui n’empêche pas Jacques Oudot de rédiger la préface à cette exposition. Préface que voici, in extenso :

 

    « C’était dans le quatrième quart du dernier des vingt premiers siècles de l’ère chrétienne et cela se passait dans la capitale de la gastronomie : un artiste avait faim, parce qu’il refusait d’exercer un autre métier que le sien : peintre ; deux galeries lui avaient “fait une exposition”, passées inaperçues parce qu’en ce temps-là l’information coûtait cher en argent et en courtisanerie : il ne connaissait l’usage ni de l’un ni de l’autre. Il dut partir loin, hors des murs de la ville, vers les forêts du centre parce que le silence était pour lui comme l’eau pour les plantes et l’air pour un oiseau.

    À votre haine, à votre pudeur de bien-pensant-bien élevés, à votre peur, à votre absence, un homme a répondu : amour.

    Prenez garde à la peinture de Guy Brémond : elle nous montre du doigt, elle déclare la paix au monde. Car la peinture, cela doit bien être quelque chose comme ce que fait Guy Brémond, ce cri d’amour dans un style héroïque et serein : c’est beau comme un déraisonnable caillou qui ne prend jamais d’x au pluriel ; ça sent bon comme un cartable dans les mousses ; ça chante comme une cathédrale de sapins ; ça aime de partout à la fois comme un amant et ça aide à voir la vie belle tous les matins.

    Je sais des êtres qui, subrepticement, ont placé quelques œuvres de lui dans leur univers : ils ne les ont jamais “décrochées”, car on se sent bien avec elles.

    Guy Brémond, tu es de la race de ceux qu’on ne juge pas ; mais je sais que ton œuvre nous rend tout ce que tu lui donnes ; fidèle, inexorable, elle nous fait le cadeau de ta vie. »

 

    Brémond ignore tout cela ; il est ailleurs. Dans un désert. Non pas pour le traverser et en revenir, mais, comme nous l’avons dit plus haut, conséquent avec lui-même, pour mettre en œuvre son œuvre, pour la vivre totalement : non plus seulement en tant que monde intérieur, mais par surcroît et simultanément en tant que monde enraciné. Le mot extérieur, bien qu’exact contraire (et complémentaire) d’intérieur, n’exprime pas suffisamment ce tout de la vie. Pour beaucoup, cette évasion est une folie, puisque Brémond ne s’est donné d’autre issue que celle de l’absolu. Pour quelques-uns, c'est une extrême sagesse, puisque cet absolu est la seule direction humaine possible, sauf à être relaps. Pour d’autres, cette décision suivie sur-le-champ de son exécution, est, sera et peut-être est encore, l’aveu d’un échec avec toute l’amertume et le ressentiment inavoué qu’une telle prise de conscience sécrète.

    Eh ! bien non, il n’en est rien. Il n’y a pas plus d’aveu que d’échec, pas plus d’amertume que de ressentiment. Au contraire. Ces vingt-sept ans de silence et de mutisme, sont un Eldorado ; ces vingt-sept ans de travail et d’émerveillement, de labeur patient et de contemplation, sont la Lune que Brémond a fini par décrocher. Et ceci  insistons sur cette qualité essentielle  dans le silence réel et en faisant silence. Ceci, toujours en insistant, sans ni s’assassiner de question ni faire feu des quatre fers. Sans chichi.

    Ceci enfin, tandis que les “Pleins feux” allèchent tumultuairement ceux qui dans la ville en sont aux poussades pour voir ces peintures que le peintre n’a pas accompagnées de sa personne physique. Un peintre épineux, dit-on avec une volubilité sémillante. Des feux qui bientôt s’éteignent, laissant dans le regard des mémoires l’écorce des choses grisaillées – qui suffoquent dans l’envieillissement de l’oubli.


Lien pour Jacques Oudot :
http://f.duchene.free.fr/oudot/
Cf. : à propos de Jacques Oudot

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17 juin 2009 3 17 /06 /juin /2009 06:37



           Des yeux de ciel bleu qui savent regarder la terre de haut comme de près. Si du reste Guy Brémond s’isole pour se doter d’une certaine vue de Sirius, c’est parce qu’ayant une propension qui l’incline à toucher la chair des êtres et des choses, à écouter et regarder vivre cette chair vive et à vif, il sent et sait bien que pour exprimer cette vérité il doit prendre le recul nécessaire. Or qui dit hauteur de vue et vue d’ensemble, dit – en tout cas pour de tels caractères aussi exigeants qu’intransigeants (envers eux-mêmes) – solitude. Laquelle, dans l’exercice de cette profession (du latin professio : déclarer ouvertement, action de se donner comme, d’où état, condition, métier, ce qui a donné profession de foi, entre autres), dans la quête particulière de Brémond (l’expression de la vie intérieure), et dans l’état de ferveur permanente qui est le sien (trois choses en une qui en ce qui le concerne, le rend indifférent au reste valoriser socialement sa peinture, par exemple , le rend oublieux des nécessités pourtant impérieuses et donc négliger l’abécédaire culture des relations acquises), débouche inévitablement sur une pauvreté matérielle impitoyable.

            Lorsque celle-ci le rappelle à l’ordre, toujoursde manière contondante, celui d’obtempérer aux injonctions socio-commerciales, il n’a ni le courage couard d’accuser qui ou quoi que ce soit (société, commerçants, fatalit...), ni la petitesse de se plaindre, encore moins d’accabler quiconque des mugissements ou des glapissements d’une colère impuissante, mais, soudain conscient de ses propres omissions, il prend son carton à dessins à deux mains et part, ainsi réduit à quia, vendre à l’encan ce qui, vendu dans les règles du marché de l’art, lui rapporterait sinon gros, du moins assez gras pour assurer ses arrières durant quelque temps. Certains de ses amis interviennent parfois pour tenter de rattraper la bévue, encore faut-il qu’ils s’en aperçoivent.

           Si, en dépit de ces sortes d’erreurs de comportement professionnel (dont il s’avise et s’accuse sans cependant s’en mordre les doigts), il continue d’exposer ici et là une peinture devenue dépouillée jusqu’à la nudité – semblable à une femme qui se rend compte que les fards et tous les matériels de séduction (parfums, bijoux, vêtements, coiffure…), au lieu d’exalter sa beauté en ternissent la nature –, il continue simultanément à s’exposer à l’inconvénient de ne plus sortir de son atelier (tout en voyant les fidèles : Gabriel Vartore, Jean-François Hamelin, Georges et Jeanne-Marie Dureau qui ne se repentent pas d’avoir fait peindre « la montée vers la lumière » au plafond de leur bibliothèque…).

           Or pendant qu'il ne cesse d’approfondir sa peinture, son écriture et sa vie, il se marie, sa femme et lui ont bientôt un enfant... À partir de là, les choses vont aller assez vite, et bientôt très vite, puis brusquement trop vite, du moins pour ceux qu’il va laisser sur le carreau, l’expression n’est pas trop forte.

          Pourtant, ceux qui ne sont pas encore laissés à l'abandon, prennent l’initiative d’organiser ce qui s’intitule alors “Plein feus sur” tel artiste choisi par les responsables du Salon d’automne de Lyon, Salon qui en 1977 a lieu du 4 au 13 novembre. 


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16 juin 2009 2 16 /06 /juin /2009 06:01
À propos de Gabriel Vartore-Néoumivakine.


    Ce plafond atteint, Brémond entreprend aussitôt d’autres “premières”, l’ascension d’autres sommets. Qui tous, par nature et définition, s’élèvent de l’abîme. Il n’y a de sommet qu’entouré de vide. On peut évidemment tomber, c’est le risque à courir. D’ailleurs les alpinistes parlent de course à propos de ce genre d’aventure. Au reste, c’est la vie elle-même qui est un risque à courir. À cet égard il ne fait aucun doute que Brémond, en se vouant à la beauté, à cette vertu qui est une singularité, s’est toujours vu contraint d’emprunter les sentes et les sentiers les plus escarpés. Si ce ne sont pas les voies royales qui conduisent sûrement à la célébrité, ce sont certainement les seuls chemins de myrtes qui mènent à l’amour.

    Qu’il soit tombé souvent, c’est un fait avéré. Mais bien entendu pour se remettre aussitôt à l’ouvrage en prenant celles des voies et des pistes les plus solitaires, les plus silencieuses et les plus abruptes. Il n’est même pas impossible qu’il utilise ses nombreuses chutes comme autant de tremplins... À considérer un certain ensemble de peintures, force est en effet de constater qu’à côté d’œuvres non pas médiocres, puisqu’il échappe à cette bassesse, mais soit inachevées, soit inabouties, ou en quelque sorte frustrées, se dressent modestement d’authentiques œuvres, non pas réussies, puisqu’il échappe à cette banalité, mais accomplies, complètes, parfaites, ose-t-on même personnellement affirmer.

    Parce qu’il ne dévie pas d’une ligne de sa marche en avant. Il peint chaque jour une simplicité si émouvante, un réel si poignant, que ceux qui se sentent ébranlés, saisis, émus, en dépit de leur esprit, de leurs goûts, de leurs idées, de leur éducation, de leur milieu ou de leurs a priori, refusent d’y céder, d’y croire et adhérer, préférant s’en aller en chosant d’un air arrogamment sémillant : « c’est trop beau pour être vrai ! » Alors que c’est précisément beau parce que c’est vrai. Brémond s’isole. Non pour fuir, mais pour atteindre ce vers quoi il tend. Il s’isole si bien que déjà il est oublié de quelques-uns. Certes, ses amis ne sont pas de ce nombre, puisqu’ils ne cessent un seul instant de pénétrer son univers comme lui de pénétrer le leur. C’est ainsi que Georges Dureau vient le trouver, et lui demande tout de go s’il ne pourrait pas exécuter le portrait de son épouse et le sien…

    Les expositions se poursuivent, dont il s’occupe peu ; d’autres s’en occupent pour lui. Lui qui, enfermé au cinquième étage avec une vue imprenable sur la ville, son fleuve et son parc, peint ses petits formats d’un gris sourd et rose Ronsard avec un pinceau plus grand que les yeux.


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15 juin 2009 1 15 /06 /juin /2009 05:33



    Dans cette orgie de travail (passionné mais méthodique, exalté mais discipliné), Guy Brémond n’est pas loin de parvenir enfin à ses fins. Il peint un réel dont on s’aperçoit alors, grâce précisément à cette peinture interposée, qu’il nous est excessivement cher. On en aime, découvre-t-on (en ayant la présence d’esprit de ne surtout plus "faire de l'esprit"), jusqu’à tel pommier ou tel coteau qu’on ne regardait même plus tant il nous étaient devenus banals. Mais ce n’est pas tout. Ce réel en question qui ne fait pas d’esbroufe, ne voilà-t-il pas qu’il se met à nous prendre aux tripes parce qu’il devient beau d'une beauté sans soins esthétiques, sans soins culturels, une beauté qui ressemble comme deux gouttes d’eau à ce boqueteau de noisetiers au coude d’un chemin gris, et dont la clarté ténue rejoint la blancheur du couchant.

    Pour les circonvolutions d’un cerveau compliqué, de telles peintures, aussi modestes que modiques, un tel réel, une telle façon d’appliquer la couleur d’un geste net, large et décidé, sont sans intérêt parce que sans superlatif, sans la moindre hyperbole. Ce sont, il est vrai, des peintures qui ne se droguent pas, ne se dopent pas, qui ni ne se dupent ni ne dupent. Si bien qu’elles ne sont pas faites pour plaire et complaire aux esprits décoratifs, aux esprits dédaléens, aux esprits forts qui éprouvent toujours une petite faiblesse pour un “viagra” quelconque afin de vibrer comme un vibromasseur , mais pour allumer une bougie de joie dans la nuit obscure des âmes en bonne santé.

    Bref, disons tout : des peintures anormales dans un monde dont la norme plébiscitée est un mélange amorphe de fantastique et de réalisme, d’utilitarisme et d’oisiveté suractive. Passons. N’oublions pas que pendant ce temps, s’il peint ces petites choses à se mettre à genoux, Brémond expose chez Kowalski, va dessiner avec Jean-François Hamelin, rejoint à la terrasse d’un café qui fait l’angle de la rue de la République et de la place Bellecour Georges Dureau à qui il montre puis donne une esquisse de son futur plafond, se rend chez Jacques Oudot où il lui arrive de peindre, accueille Gabriel Vartore qui vient lire quelques poèmes… Autrement dit, il vit de la même manière qu’un iceberg voyage sur la mer : on n’en voit jamais la profondeur, et encore moins la vie intérieure.

    Sauf si l’on s’est ainsi fait qu’on ne peut vivre qu’en prêtant attention (une attitude d’amoureux) à ce qu’ont de parfaitement unique l’homme et l’objet qu’il fabrique gratuitement. Les petites peintures qui à cette époque sortent des mains de Guy Brémond sont de cette espèce singulière. En tenir une sous les yeux, c’est goûter en gourmet à l’exquis, c’est-à-dire jouir simplement d’un arbre doucement agité par la brise, ou d’un de ces moments tellement lents ou libres que le plaisir presque dolent qu’il donne équivaut à se murmurer sa propre vie.

    Ce que réalise le poème qu’on se plaît à lire, ce que créent le lied, la mélodie ou le quatuor qu’on a le sérieux d’écouter, puisque tout le sérieux de la vie y est donné à vivre. De même la peinture, le dessin, l’aquarelle. Ces contemplations sont de perpétuels préliminaires dont l’acmé  n’est pas dans le toujours prochain assouvissement, mais dans la réciprocité du geste qui recourtise. Le regard du peintre, autrement dit le peintre et l’homme, est définitivement incarné dans la matière spirituelle d’une peinture que l’on couve du regard. De là, il est facile de comprend ceux qui deviennent si amoureux qu’ils font tout pour acquérir de pareils objets.

    Lorsqu’il entreprend de peindre le plafond de ce qui va être le bureau de Georges Dureau, Brémond en est au stade où l’obligation d’être conséquent avec soi-même fait prendre des décisions dont les suites sont généralement définitives. Heureusement pour ce plafond, sitôt que Brémond se juche sur l’échafaudage, l’emprise de l’œuvre neutralise provisoirement ce qu’il accomplira deux ans plus tard. Lorsque, après plusieurs mois de travail, il permet (puisqu’il a en quelque sorte interdit à tout le monde l’accès de son chantier tant qu’il n’était pas achevé) à Jeanne-Marie et Georges Dureau de regarder ce plafond peint, Brémond est aussi gêné que s’il dévoilait une partie secrète de lui-même. Georges Dureau, lui, qui désormais vient s’asseoir chaque soir dans son bureau, trouve très vite le moyen de satisfaire son regard de cette "Montée vers la lumière" sans se tordre le cou : il recouvre sa table de travail d’un miroir. Un moyen qui n’est sans doute pas sans lui rappeler certains contrepoints de l’Art de la fugue…


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14 juin 2009 7 14 /06 /juin /2009 07:29

Simplicité

« Non pas l’heure ou l’air, mais l’ambre, la chair, la déchirure. Et là le fruit ouvert, la bouche mûre jusqu’à l’odeur douce-amère d’une grenade rose au regard ruisselant de soleil levant.

(Quand, dans octobre et ses pénombres fruitées, rougit et comble l’insatiété le bronze du silence ; quand le sang d’août vient sourire et se taire en levant son vin jusqu’aux lèvres ; quand le visage du passé soulève sa grappe, ses feux, ses chants venus des collines égorgées ; quand se répand, rutilant dans l’ombre des cheveux blonds un peu, l’incandescente retenue d’une braise juteuse ; quand, sans autre faim ni soif que voir encore l’étang étale et doux brûler l’ombre et gémir ; quand du charnu de la mémoire naît ce soir ton amour… Alors je bois, je prends, je mange ! Je ris et geins, je saigne ! Je suis le fruit ouvert, la chair et la déchirure, je suis l’ambre et la bouche mûre. Je prends ta braise ruisselante, je baise ta grenade rose du soleil levant ce soir sa vie vers moi. Je bois ton lait bleu, je mange ton sang d’août, je me comble de ton regard de myrte qui vient tremper ses lèvres dans mon vin triste…) 

 Non pas l’heure ni l’air, mais là, silencieuse et pourpre, à table ce soir, l’anxieuse volupté, la femme entière et ton baiser. »

                                                                                             
                                                                               Guy Brémond, dans “presque lent” 
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14 juin 2009 7 14 /06 /juin /2009 07:21
Noces

    On peut ignorer de quelle façon il procède, qu’elle est sa technique, sa cuisine, sa chimie (car s’en est effectivement une : le métier de peintre demande en effet un très long apprentissage ; contrairement à une idée reçue, vulgarisée pour flatter la pente de la facilité, ce métier ne s’improvise pas ; en revanche, lorsque le peintre improvise, c’est de la même manière que le musicien qui ne peut le faire que parce qu’il maîtrise son art en ayant appris son métier), ce qui compte, c’est l’émerveillemen pour peu que l’on soit sensible à ce qui est essentiellement humain, à l’immense train de tout ce qui s’ensuit.

    Il faut grandement plaindre les hommes qui restent devant un visage bouleversant (une beauté), indemnes d’émoi, exonérés de frémissement… À moins, en effet, de bénéficier d’une circulation du sang d’ophidien, il est impossible de ne pas participer activement à une expression esthétique authentiquement profonde, ou élevée, ce qui est synonyme. Or ce que donne à contempler Brémond, pourrait se comparer à un lac de montagne dans l’eau calme duquel viennent s’abreuver les cimes. Il a peint ainsi certains paysages dans la nature desquels on s’enfonce sans esprit de retour, tant le silence qui en émane est tissu de paix. On sort – si on en sort ! – de ces pays des merveilles avec l’âme percluse des plus adorables ecchymoses amoureuses ; et, de plus, avec l’irrépressible besoin d’emporter le tableau avec soi. Certains et certaines le font. Mais ils ne le peuvent que parce qu’ils se sont préalablement outillés du discernement approprié. Ou de l’art exquis de savoir vibrer par sympathie de volupté et réminiscence d’esprit, ce qui revient au même. Et lorsque l’on a connu une peinture capable de susciter une pareille émotion, il va de soi qu’on grille de s’y délecter à nouveau.

    Aussi ne faut-il pas s’étonner de la démarche de Georges Dureau. Ce chirurgien qui se destinait à une carrière de violoniste, ou ce violoniste du cœur humain qui sait le prix et le poids de l’âme, a, sinon au premier, du moins au second coup d’œil, vu de quoi cette peinture – et ce peintre – était faite. Il acquiert d’ailleurs des tableaux, des dessins : il fait partie de ceux qui se sont équipés d’un discernement, qui ne sortent (quand ils en sortent !) de la beauté qu’avec les indispensables ecchymoses d’amour, autrement plus indélébiles que le rouge à lèvres des baisers… Georges Dureau prend donc l’initiative de demander à Brémond s’il lui plairait de peindre le plafond d’une pièce – au rez-de-chaussée de sa grande maison – destinée à devenir son bureau. Si jadis certains personnages se donnaient d’âpres plaisirs à courre le loup (lorsque cette espèce animale hantait encore les bois, les champs et même le Gévaudan), Brémond accepte avec un emportement passionné de courir le risque de cette aventure.

    Mais auparavant, puis simultanément, il poursuit avec la même ténacité sa quête de l’expression la plus épurée, la plus simple, la plus proche de l’homme, celle capable de toucher ceux dont les entrailles sont directement reliées au cerveau (affublé de surnoms et pseudonymes : pensée, esprit, réflexion, conscience, cœur, raison, âme…) par une corde sensible. Il procède un peu comme faisait le poète PO Kui-yi (772-846) qui, dit-on, lisait ses vers à une femme illettrée, les corrigeant jusqu’à ce que celle-ci les comprît parfaitement. Pour Guy Brémond, une peinture  – une musique, un livre – qui nécessite un mode d’emploi, un glossaire, voire une explication ex professo, est une offense faite à la peinture et à la prodigieuse simplicité de l’intelligence. Aussi s’efforce-t-il à supprimer tout ce qui entrave la marche en avant. Mais atteindre la pureté, peindre comme on sait sourire, comme un premier baiser (qui tous devraient toujours être premiers), implique une sorte d’impératif catégorique : ne jamais se laisser infecter par l’affectation. Ou alors il faut trancher dans le vif : amputer, ou pire : décapiter.

Lien vers le site consacré à Georges Dureau :
http://www.georgesdureau.fr/default.html

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Il n’est peut-être pas tout à fait inutile de montrer le visage de l’homme auquel ce blog est consacré. L’esprit ayant besoin d’un support physique, grâce à l’intimité duquel il sait parfaire sa connaissance. La photo ci-contre date des années 1970.

 

 

 

 

 

 

 

 

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