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2 juillet 2009 4 02 /07 /juillet /2009 06:17


Sont-ils vraiment si rares, ou plus nombreux qu’on croit, ceux qui aiment le robuste dessin et la frêle aquarelle avec le cœur sur la main ? Car enfin, comme dans tout rapport amoureux, il faut bien qu’il y ait réciprocité…

Pour qui fréquente avec quelque peu d’assiduité musées, galeries, concerts, éditeurs, libraires et antiquaires, sait pour le voir et le vivre que certains amoureux, refusant de rester transis, osent approcher une porcelaine de Sèvres du XVIIIème siècle, une bergère estampillée Sulpice Brizard, etc., mais ne trouvent en lieu et place de cœur sur la main qu’une main de fer exigeant la bourse ou la vie. Ils veulent pourtant bien donner leur vie (c’est d’ailleurs souvent déjà fait), seulement, comme une vie à la bourse plate ne vaut pas même les deux mètres carrés de terre pour l’enterrer…

C’est exactement comme si une belle femme refusait systématiquement tout amoureux n’ayant pas les bourses…, pardon ! la bourse pleine de la richesse qu’elle juge être l’équivalent de sa fortune (dont on connaît les caprices, c’est-à-dire ceux du sort, du hasard). Alors que sa beauté, ne lui en déplaise, est la chose du monde la plus gratuite qui soit. Mais laissons ce (faux) problème – résolu, mais dont la plupart des hommes refusent la solution pour d’évidentes raisons de pouvoir, de plaisir, de puissance, autrement dit de vanité, en d’autres termes de démesure, donc de laideur…

Laissons. La réciprocité en matière d’objets d’âme, appelés plus couramment objets d’art, n’existe d’abord que dans celui qui est saisi, commotionné par ledit objet, jusqu’à ce que l’affinité élective l’autorise ensuite à le saisir à son tour, et par retour à ressentir aussitôt combien l’amour est en effet vraiment diffusif. On croit à peu près tous qu’un tableau est un objet inerte que l’on peut à loisir accrocher, décrocher, retourner, encadrer, décadrer, rentoiler, revendre, monter au grenier, descendre à la cave, poser sur la cheminée comme un pot (qui du reste a pu servir à composer une nature morte), regarder, lui tourner le dos, etc., sans qu’il bronche : un diamant peut-être, mais rien qu’une pierre. Alors qu’il est aussi vivant que le livre dont la lecture nous captive, que la musique dont l’écoute nous transporte… Ces lieux communs sont fort utiles, ils permettent en effet de remarquer que dire et faire font deux et que cette vieille tarte à la crème fait encore les délices de (presque) tout le monde, y compris surtout de ceux qui se gaussent avec hauteur des locuteurs de lieux communs. En vérité, on spécule, mais en y mettant l’art et la manière : l’immortelle hypocrisie.

Lorsque Guy Brémond (et d’autres, j’espère !), après avoir vu pendant une heure ou plus, l’homme ou la femme passer par tous les stades du saisissement explicite, puis prendre congé, le sourire courtois mais le regard affligé, donne spontanément l’objet de ce tourment, il parachève son œuvre en la haussant à la réciprocité qui fonde l’égalité. Si l’œuvre vaut 100, il ne la dévalorisera ni n’humiliera la personne en ramenant sa valeur vénale à 50 ou 30. Qu’en revanche une personne B l’achète sans discuter pour ce qu’elle vaut, le peintre ne s’en plaindra d’autant moins que pour lui les deux actes reviennent au même – à ceci près, repartira-t-on raide comme balle, que dans ce second cas, Brémond a 100 dans la fouille au lieu de zéro, ah mais !

Exact. Une repartie qui rejoint, gonflée à bloc, les susdits lieux communs. Avec les lois du marché on tourne toujours en rond. Et pour sortir de ce rond-point, la seule solution, outre celle de Raymond Devos, est d’agir comme Alexandre le Grand qui, plutôt que de perdre son temps à le dénouer, trancha le nœud qui attachait le joug au timon du char de Gordias, ce qui revient à donner le tableau à son amoureux, plutôt que de tenter de résoudre la quadrature du cercle infernal de l’économie de marché, en exploitant, par exemple, tous les systèmes de crédits et autres manœuvres dilatoires. S’il n’agit évidemment ainsi qu’avec les personnes dont la parfaite adéquation entre l’expression pudique de leur sentiment et celle, non moins pudique, qui émane de l’œuvre est avérée, Guy Brémond, ce faisant, n’en a pas moins délibérément choisi de vivre sans doute pauvrement, mais bellement. D’aucuns prétendent que l’on peut tout à fait vivre richement et bellement. S’il n’ignore pas cette assertion, je crois que Brémond n’a jamais essayé de la vérifier.

 

« Tous les jours on passe à trois millimètres d’une opération à cœur ouvert, sans la voir. On s’en va plus loin continuer à ne pas voir toutes les femmes qui s’égorgent en marchant jusqu’au bout.

Au bout de la rue, en tournant à gauche, on entre dans le gynécée des pierres blanches.

Dans toutes les lignes de ces mains levées, on lit une vie, une beauté, un amour, une femme qui est passée à trois millimètres d’un regard qui ne savait pas lire à cœur ouvert. »

 

© Guy Brémond, in Récitatif

 

 

 

 

 

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1 juillet 2009 3 01 /07 /juillet /2009 05:52


Cicérone… On m’a donné ce nom lorsque, après avoir visité sur Internet plusieurs sites voués à des poètes et des peintres, j’ai émis l’idée d’en construire un grâce auquel on pourrait pénétrer dans la crypte appelée Guy Brémond, et y voir ainsi battre le cœur de l’œuvre.

Si j’en suis le guide, je n’en suis que le guide : tout est fait avec les matériaux puisés à la source, comme jadis les paysans bâtissaient leurs maisons en arrachant la pierre à même le sol qu’ils cultivaient. Chaque article est rédigé en utilisant les textes écrits par Brémond, y compris celui-ci. En témoignent les comparaisons et métaphores…

Un site, répétons-le, dont le but est de faire connaître le méconnu et l’inconnu, le peintre et l’écrivain : l’homme qui a conçu ces jumeaux en est aussi le fils. En aucun cas il ne peut être question ici de faire du commerce, par conséquent de proposer des œuvres à la vente. Pour cela, il existe des professions et des lieux appropriés. Il n’est toutefois pas interdit de laisser des commentaires et d’éventuelles demandes de renseignements qui pourront être satisfaits à titre strictement privé.

 

Cicérone : pour un voyage dans un cœur sur la main. Voyager dans une aquarelle, un lavis, un dessin ou une peinture, c’est voyager dans une crypte (le verbe krÚptw signifie cacher ; ¹ krÚpth, la crypte, est cachée dans la terre ; ici, par extension métaphorique, qui est cachée dans la chair). On peut en montrer le chemin, mais là s’arrête le rôle – et le pouvoir – du cicérone. Le reste est aux risques et périls (il en faut bien !) des voyageurs, c’est-à-dire les risques qu’ils sont obligés de prendre s’ils veulent vraiment pénétrer jusqu’au cœur de l’intelligence des choses. Sans doute, une opération à cœur ouvert ; et même une transplantation puisque le voyageur se greffe littéralement à l’œuvre. Qui n’a pas éprouvé cette expérience, aussi troublante qu’émouvante, de sentir exister en soi une présence supplémentaire ?À force de si bien vivre dans la peinture que l’on contemple, le peintre finit par nous habiter.

Dans une peinture, tout est suggestif : les lignes, les taches de couleur, la couleur, la matière, et bien entendu le tableau lui-même, sa face visible, compréhensible, sa raison d’être. La liberté du voyageur n’est pas dans le fait de voir, de sentir, de penser ou d’imaginer ce qu’il veut, mais dans le fait plus difficile de se soumettre totalement à l’évidence de ce qui lui est donné. Donné, car il emporte tout avec lui, l’évidence, sa soumission, sa liberté, sa sensation, les couleurs, la peinture, le peintre, tout !, ou bien il est totalement emporté avec elle, l’amante, l’œuvre-mère. Il y a ainsi des disparitions énigmatiques…

Comme cet autre voyageur, héros d’une longue histoire :

« […] Une rue qui, comme un champagne ascétique, débouche sous la façade de l’église, se poursuit entre le flanc de celle-ci et le mur d’un château pour s’arrêter sous trois arbres pythagoriques debout derrière le chevet. Lucien descend de voiture, ferme la portière et reste non pas cloué, mais soulevé d’émerveillement par la merveille dressée là, pareille à une lampe de chevet dont la lumière intérieure, allumée jour et nuit, imbibe les murs jusqu’à les transverbérer. Exactement ravi, soulevé par un transport au cerveau même de la beauté humaine qui a le génie de faire toucher la beauté divine, Lucien, dans cet état de lévitation, seul mode de connaissance directe, entretient son émerveillement. Il est devant cette architecture comme devant le tympan de Charlieu, devant la Pietà d’Avignon, la Crucifixion de Grünewald, la broderie sur le mouchoir, le triptyque de la Vierge du Maître de Moulins, les Pèlerins d’Emmaüs de Rembrandt, le Psaume 130 de Lili Boulanger, ou un poème d’Essenine, une phrase de Pascal, un mot d’amour, un mot d’émoi, un dernier mot…  Sur lequel il fait le premier pas. Puis le second, et à sa suite la kyrielle des autres qui l’entraînent autour de l’édifice. »

© Guy Brémond. Extrait de Noria

 

Le meilleur des guides est celui qui sait égarer avec pertinence les voyageurs dans une beauté aussi dédaléenne que le cœur d’une rose, ou d’une rosace, qui n’est rien moins qu’une île au trésor. Comme l’association des mots du poème, l’association des couleurs du tableau est ce qui produit suggestivement ce faisceau de sensations (parfois fugitives) qui conduisent à l’émerveillement. Si l’association est “n’importe quoi”, il n’y a rien de suggestif et tout se réduit à un discours intellectuel : on se paie alors de mots, on dupe ; on est, au sens le plus étymologique, non seulement un interprète, mais encore un acteur, pire : Ð Øpo!rit»j, un hypocrite.

Ce qui ne peut être le cas de celles et ceux qui aiment la compagnie d’une frêle mais forte aquarelle, d’un fragile mais robuste dessin fait avec le cœur sur la main de Guy Brémond.

   

 



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30 juin 2009 2 30 /06 /juin /2009 06:52


Ce voyage au centre de la chair en est également un à l’intérieur d’un volcan. Mais un volcan dont la lave en fusion serait une infusion de tilleul sucrée au miel. Parce que Guy Brémond est réellement un volcan, mais un Vulcain (plus exactement un Héphaïstos, ou “H+aistoj si on préfère) qui forge des foudres de douceur audacieuse, autrement dit dont les éruptions sont des lumières de tendresse téméraire. On ne peut séparer chez lui la puissance de la délicatesse sans séparer l’homme de l’œuvre, ce qui serait séparer la chair de l’os.

Un peintre, de même qu’un poète, est une lucidité ajoutée à l’amour qui en se conjoignant augmentent l’humanité d’une beauté excessivement utile. Que le couple ou la beauté soient jugés, que le jugement les décrète ratés, n’a de l’importance que pour le juge – on aura certainement remarqué que la plupart des hommes ne pensent ou ne parlent des autres “que la balance à la main”, dont ils sont le fléau indicateur…

Le vrai voyage est celui qu’ose faire sans guide ni garde-fou – et quasiment sans même savoir où il va et va aller – la personne qui, comme on prend un livre dans ses deux mains, prend le tableau et ne le lâche plus qu’elle ne soit parvenue au fond. On voit quelquefois certains de ces êtres immobilisés dans une profondeur inexpugnable : ils sont tellement enfoncés dans la matière spirituelle que l’épée de l’âme, de la poignée à la pointe, a disparu. Plongée dans l’œuvre, elle est reforgée par l’émerveillement. Là, si on n’a pas peur des mots qui ont tous un bon sens, il ne peut y avoir d’ambiguïté : il s’agit positivement d’extase. Cet état n’appartient ni ne peut être revendiqué par personne en particulier. Si la religion l’emploie plus couramment, ce n’est que par le fait que sa nature y prédispose. Mais l’extase est, de tous les états humains, celui qui touche en priorité l’amoureux. Il faut du reste impérativement connaître l’amour, le vivre dans toute l’extension de son intensité, pour que l’esprit s’élève dans l’extase. Or, outre l’amour réciproque et simultané qui soude un homme à une femme, les états d’art sont sans doute ceux qui suscitent le mieux l’extase. On substitue habituellement à ce mot si riche de sens, les mots moins forts d’admiration, adoration, attachement, appréciation, enthousiasme, on dit alors qu’une chose est intéressante, qu’on l’estime, qu’elle est  charmante, curieuse, savante,  ravissante… Précisément, pour ceux dont l’amour est sans limite, une peinture, à l’instar d’une musique, d’une femme, d’un paysage, d’un homme, d’un poème, peut ravir en extase. La beauté est, elle aussi, sans limite puisqu’elle participe de l’amour, qui tous deux sont le principe de toute création.

           C’est là que Guy Brémond est peut-être, pour de tels amateurs (amants, amoureux…), celui qui offre le plus libéralement ses tremplins – œuvres sans concession, sans crème anti-âge, naturels –, grâce auxquels chacun, s’il se donne la peine de ne plus chercher ce qui saute aux yeux, clinquant de pierreries et d’ors mussifs, de toc et autres instruments de racolage, peut librement accéder à la crypte où bat le cœur de l’œuvre. Il n’y a pas de péage, l’entrée est libre – la sortie également, dans le cas affligeant où il y aurait, entre l’œuvre et l’usager, incompatibilité sanguine…


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29 juin 2009 1 29 /06 /juin /2009 05:20

 

Quant au style de vie de Guy Brémond, il est exactement celui de son œuvre. Une œuvre que l’on ne connaît pas, simplement parce qu’elle vit comme son auteur : reclus. Pour le voir il faut franchir pas mal de kilomètres et donc avoir une sérieuse, sinon même une furieuse raison de le faire. Brémond ne quitte que contraint et contrarié son reclusoir. Aussi n’est-il guère étonnant que l’on ne connaisse ni l’homme ni l’œuvre, aussi recluse que lui.

Mais une chose est sûre : sa vie est un détristement comme sa peinture est un reposoir, une tranquillité. Même si parfois la couleur lamente une certaine pensée, du reste si concomitante au paysage, à la nature morte ou au portrait qu’on se surprend à y reconnaître une réalité qu’on ne s’exprime cependant jamais que sous le manteau.

Si en 1977 il n’était pas parti, s’il avait continué à vivre la vie d’une artisterie telle qu’on la voit encore aujourd’hui, l’œuvre et l’homme seraient sans doute aussi connus que ceux et celles qui s’emploient à l’être. Mais alors quelle œuvre et quel homme ? Cette question oiseuse offre peut-être l’opportunité de se demander de manière plus pertinente que ne le font les censeurs : une œuvre et un homme ratés ? C’est pour le coup que Brémond répondrait : évidemment, sinon je n’aurais pas pris la fuite !

Faire un tel choix, c’est bien entendu s’exposer au redoutable inconvénient de ne vendre une peinture qu’une fois l’an, et encore, parce qu’on est large. Nul n’ignore que ce n’est pas le travail qui nourrit son homme, mais l’argent, ce qui fait deux. Lequel argent n’est d’ailleurs pas forcément issu d’un travail, puisqu’il peut fort bien provenir d’une activité adjacente qui n’a rien à voir avec l’ouvrage qu’impose un métier. Bien souvent, rouler en voiture équivaut à rouler sur l’or, les autres se contentant de rouler des panses sinistres ou des pensers offusqués. Guy Brémond avait prévu le coup. Et si depuis tant d’années il a tenu le coup, c’est parce qu’il s’est fondu dans son paysage au point de n’avoir plus que des besoins parfaitement modiques. Ceci pour assurer l’intendance de besoins autrement plus impérieux. On sait lesquels.

Lesquels besoins exigent en effet tout de l’homme, son corps, son temps, son sang, son amour, sa vie… La preuve : il ne lui en reste qu’à peine de quoi sustenter son morceau de mèche qui aura brûlé par les deux bouts – sans que nul ne le remarque. Et pour cause, puisqu’il vit seul. Seuls ses amis le savent, qui fréquentent l’homme et l’œuvre. Ne parlons pas de ce qu’il est convenu d’appeler les relations, Brémond est avec ces personnes-là dignement affable, civilement attentionné, il est vraiment alors l’honnête homme ; mais un homme secret, discret : c’est l’homme du désert, le cactus épineux, même s’il est parfois disert afin de fleurir la politesse toujours un peu sèche.

Un érémitisme qui est visible comme un nez au milieu de la figure, il suffit de regarder un de ses dessins, une de ses peintures. Dessins et peintures qui ne déclenchent la paix, ne suscitent l’amour, ne confèrent la sérénité chez celui qui les pénètre et s’en laisse pénétrer, que précisément parce que les unes et les autres sont le souffle de cette solitude, autrement dit l’esprit du désert. Le cerveau du solitaire est un poumon dont le souffle est le vent de l’âme. D’ailleurs il exhale le thym, fragrance ô combien exaltante.

Les amis en question n’existent que pour réaliser ce que Guy Brémond ne sait pas faire, c’est-à-dire fréquenter un public, parler en public, rencontrer celles des personnes habilitées à organiser des expositions et autres choses semblables. Il y a aussi en lui un fond de timidité, plus exactement de respect – respect de soi-même et d’autrui – qui l’empêche de “faire l’article” de ses œuvres et de traiter son vis-à-vis d’acheteur, de client. Ce passage à l’acte le paralyse, le détruit. Et quand par malheur il s’y aventure (je peux en parler, ayant été personnellement témoin d’une telle scène), non seulement il se met à bafouiller, ne trouve plus ni ses mots ni ses pensées, mais, de surcroît, il trouve le moyen inouï soit de donner l’aquarelle ou la peinture, soit de faire tourner le dos et les talons à la personne pourtant bien voulue d’un Guy Brémond navré. Disons tout : lui fait admirablement défaut l’éminente qualité du commerçant qui, canaillement pépère, débagoule le sirop badin de son baratin pour enfouiller sans ciller un flouze mérité.  

Mis ainsi au pied de ce mur infranchissable, Brémond retourne à son désert qu’il n’aurait jamais dû quitter, en se disant qu’on ne l’y reprendra plus. Voire…

 

 

 

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28 juin 2009 7 28 /06 /juin /2009 05:56




           Peu de ces censeurs s’expriment, ou alors entre soi dans l’embrasure d’une fenêtre. Quelques-uns cependant n’hésitent pas, s’ils trouvent en face d’eux une oreille à peu près complaisante, ou qui feint de l’être, à dire que la peinture, de même que l’écriture de Brémond est sans style. Avec ce mot, ils ont tout dit et on comprend illico ce qu’ils entendent pas là. Là, il suffit d’opiner en silence pour qu’ils éprouvent le besoin de préciser qu’il n’a pas de caractère, de personnalité, qu’il n’est pas moderne… Avec cet autre mot, ils sont sans réplique. Sauf si l’on s'équipe d'une taquinerie, comme celle de hausser un sourcil d’étonnement interrogatif, ce qui leur permet d’alimenter notre comprenette en ajoutant que cette peinture, cette littérature, sont décidément vieux jeu, et de citer en vrac : Rouault, Klee, Léger, Mondrian, Buffet, Chagall, Signac, Pollock, etc. Certes.

Il n’est bien entendu pas question d’analyser ici, ni même de recopier les définitions des mots style, personnalité ou moderne. Les dictionnaires sont faits pour ça et ce n’est pas ce qui est intéressant dans ce cas d’espèce. En revanche, ce qui l’est, c’est de constater combien peu d’hommes sont capables de préférer contre vents et marées, écouter la voix de la raison du cœur, plutôt que le porte-voix de la raison cultivée, de l’opinion dominante, des savoirs appris ou des derniers cris de la renommée fondée sur les forces publicitaire et commerciale qui ne font jamais qu’une seule bonne affaire financière.

Écouter la raison du cœur, c’est avoir le courage d’aimer. Ce qui semble être prioritaire. En cette occurrence, c’est aimer une œuvre pour elle-même. On se fiche alors pas mal des canons en vigueur. Qu’elle soit jeune ou vieux jeu, soi-disant moderne ou vieille baderne, qu’elle ait du style ou pas, qu’elle importance ? La beauté pas plus que l’équité, la vérité pas plus que la liberté ne sont vieux jeu, modernes ou stylés : elles sont ou ne sont pas. La seule chose qui compte – pour soi seul, et non pour le soi social qui fait commettre les pires vilenies et veuleries – c’est d’être sensible à ce qui s’offre à nous. Cela paraît évident. Mais dès que l’on examine le comportement, les faits, gestes, dits et pensées des susdits censeurs et consorts qui prétendent aimer les arts (et sans doute les métiers, les sciences, les techniques et tutti quanti), c’est une autre affaire. Eux “ils s’y connaissent”, ils savent de quoi ils parlent. Pourquoi pas ? À ceci près – mais se sont-ils jamais posé la question ? – que leur vie, que leur personne est peut-être ratée ?...

On peut fort bien avoir du génie et rater son œuvre et sa vie, comme inversement on peut réussir son œuvre et rater sa vie faute de génie, ou encore ne pas avoir de génie et ne rien rater du tout, etc. On nage là dans le relatif et le subjectif d’une vanité qui se fait un point d’honneur de se faire appeler, comme au XVIIème siècle et suivants, un parfait honnête homme (« intus ut libet, foris ut moris est », dit le précepte latin : à l’intérieur, fais comme il te plaît, à l’extérieur, agis selon la coutume).

Si Brémond, selon ces personnes savantes, a raté son œuvre (donc sa vie), il n’a nullement raté l’essentiel, à savoir la somme d’efforts grâce à la qualité et l’intensité desquels il a voulu, su et pu créer quelque chose qui aime et suscite l’amour. Toutes les autres sortes, espèces et catégories de réussites n’atteignent jamais la cheville de ce volume d’efforts. De ce point de vue, le génie et le raté sont ex æquo : ils ont produit l’effort créateur (« L’homme de mérite, dit La Bruyère, est admirable même et par les choses qu’il a faites, et par celles qu’il aurait pu faire »). Quant à l’œuvre, si elle se mesurait au mérite, il est certain que celle qui est considérée comme ratée (sans génie) emporterait la palme : il a fallu que son auteur substitue à son défaut de génie une quantité d’énergie que l’autre n’a pas eu à déployer, ce qui d’ailleurs n’ôte rien à sa valeur. Mais l’œuvre ne se mesure pas. La seule mesure qui la concerne est celle de l’harmonie, du “rien de trop” déjà cité, au-delà duquel on sombre dans la démesure et la laideur jusqu’à la vulgarité.

Le raté, comme on dit, serait plutôt le médiocre, le tiède, celui qui n’a garde de sortir du rail de la mode, de la mentalité ambiante. Ce raté est une copie d’homme. Non seulement il copie, décalque la pointe du modernisme (que d’ismes !) et l’avant-garde du progrès (lequel ?), un poncif, mais par-dessus le marché il se plagie et se complaît à rabâcher : une rumination qu’on nomme, avec des ronds de bouche, son style.

 



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27 juin 2009 6 27 /06 /juin /2009 06:36


On peut dire que “l’amateur d’art” est à la fois l’amoureux des affinités électives et le profond connaisseur du cœur humain. Mais il est surtout un homme qui se délecte, qui se lèche les yeux jusqu’au cerveau comme on se lèche les doigts jusqu’au coude.

Entendons-nous. Lorsque je suis assis (en effet, je me mets à l’aise, je ne veux pas que mon plaisir, que ma jouissance et mon enchantement soient interrompus pas un mal aux pieds, une crampe et autres semblables désagréments) devant un tableau, ce n’est évidemment pas pour l’analyser, le décortiquer, l’expliquer… Ce travail-là, si toutefois je m’y adonne, est destiné à un autre jour, un jour où l’on est trop sec pour espérer faire mieux. Non, c’est pour éprouver un plaisir. Un plaisir, exactement parlant, sans borne. Autrement dit qui ne se borne pas aux seuls plaisirs heureux, joyeux, radieux. Je m’ouvre à tous les plaisirs, les tristes, les malheureux, les nostalgiques, les mélancoliques, voire les douloureux, les affligés, les déchirés, les désespérés… Il va de soi que le plaisir ne vient pas du désespoir, mais du tableau du désespoir, ou de l’espoir. Dans ces moments privilégiés je bannis (une manière de dire, car je n’ai jamais besoin d’en venir à cette violence) les raisonnements, qui ont toujours la fâcheuse habitude de rappliquer sans qu’on ne leur demande rien. Je suis en tête-à-tête avec mon tableau (mon, parfaitement, c’est peut-être le seul cas où l’on est propriétaire sans avoir à “cracher au bassinet”), je suis même avec lui contre à contre, j’ose ajouter que je suis, ou qu’il est avec moi, c’est-à-dire que nous sommes dans les bras l’un de l’autre – pour ne pas dire l’un dans l’autre. Tout le monde sait que les auteurs mystiques sont les plus érotiques des poètes. Pour exprimer certains états extrêmes, limites, maximums, jusqu’au-boutistes, force est d’utiliser des images, des métaphores ou des comparaisons en rapport direct avec de telles dimensions, l’amour, puisqu’il s’agit de lui, n’ayant quant à lui non trois, quatre ou neuf dimensions, mais une seule, comme il a une seule direction. C’est d’ailleurs un truisme (délicieux) que l’on est obligé de répéter après des générations d’hommes, faute de pouvoir inventer quelque chose de supérieur, de plus élevé, de plus profond que l’amour.

Mais je ne parle ici de moi que pour mieux parler du rapport qui s’établit entre une peinture de Brémond et un “amateur d’âme”. Certes, pas n’importe quelle peinture. Certaines prédisposent à la contemplation mélancolique alors que d’autres provoquent le désir, les rêveries du repos ou, parce qu’elles ont un petit air de doux défi, un enthousiasme pour la sérénité, mais toujours à haute dose, bien qu’avec des moyens simples et modestes.

Supposons que l’amateur de beauté soit devant une de celles qui entraînent à une hospitalière mélancolie et que celle-ci le captive. De deux choses l’une, ou bien il est riche et il achète le tableau qu’il emporte séance tenante pour vivre avec lui, ou bien il est pauvre et il mange le tableau (ou encore, car cela arrive souvent, Brémond le lui donne, et dans ce cas il est plus riche que le riche). L’amour est anthropophage, c’est bien connu. Naturellement notre amateur ne se contente pas de le manger en esprit, mais avec son corps : il s’imbibe. Mieux : son cœur est une pompe qui aspire la douceur grise du tableau (qui l’enivre d’un immense plaisir) afin de la faire circuler dans toute sa personne sans jamais la restituer. Ou bien alors sous la forme transformée d’une confidence. Il y met même parfois la main, parce que la peinture est matière, comme la chair de l’âme est matière. Qui n’a pas mis la main sur le sein ou le genou d’une femme ? À moins qu’il y ait, comme dans les musées (et sur le visage de certaines femmes), un panneau d’interdiction avec sa liste de sanctions…

Voyager à l’intérieur d’une telle peinture, c’est voyager sans esprit de retour, en tout cas sans savoir si l’on en reviendra jamais. Quand on se lève de sa chaise et qu’on s’en retourne dans ses pénates, on croit qu’on en est revenu. Ce n’est qu’une impression en trompe-l’œil. N’en reviennent que ceux qui font l’amour par devoir ou à la hussarde. Les autres, non, ils restent. Ou plutôt si, ils partent bel et bien, mais obsédés, hantés, habités. La peinture est accrochée en eux comme une obsession amoureuse. En disant cela je pense très précisément à trois quatre peintures de Guy Brémond dont la ténuité de ton est une incomparable audace qui fait entrer en tentation. Il est vrai qu’on a déjà succombé.

À mon grand regret, je ne peux m’offrir qu’exceptionnellement le luxe de succomber. La distance de séparation géographique, donc kilométrique, est une des raisons. C’est pourquoi je collectionne ses œuvres comme j’ai dit, en anthropophage. Pour le reste, il existe la communication informatique grâce l’efficacité de laquelle, nombre de dessins vont se jeter dans les mains, les bras et les yeux de ceux qui sont sensibles à l’indicible.

Beaucoup concèdent à Brémond un don. Concession qu’ils ne font que pour lui associer le contrepoids de leur jugement tacite, muet, qui fait la paire : l’œuvre, sinon l’homme, est ratée.

 

 



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26 juin 2009 5 26 /06 /juin /2009 06:08


           Tous les amis (Gabriel Vartore, Jean-François Hamelin, Georges Dureau, Roger Kowalski, Jean-Claude Czyba, Jacques Oudot, les vivants, les morts et quelques autres de plus, sans oublier votre guide Cicérone…) de Guy Brémond savent bien que sa solitude volontaire n’a pas pour but de leur tourner le dos, mais bien au contraire de leur ouvrir les bras. On n’offre pas à ceux qu’on aime, dit-il, un objet souillé. Raison pour laquelle il se préserve, préservant ainsi sa peinture, la beauté en général – c’est-à-dire ce qu’il y a de plus pur et de plus parfait –, à seule fin qu’elle soit un objet aussi propre que l’est une étoile à l’œil nu.

En vérité, tout ce que ses amis savent, et donc tout ou à peu près tout ce que je sais de lui, ils le savent et je ne le sais que par les confidences de sa peinture et par la lecture de ses textes. Guy Brémond ne parle pas. Ou s’il parle, c’est parce qu’il est poli et qu’il répond, ou parce qu’il sent que son interlocuteur éprouve une gêne à cause de son silence. Ce qu’il dit alors n’a aucun rapport avec sa vie, mais uniquement avec la vie de l’autre, et uniquement pour le désembourber de sa gêne. Lorsque, peut-être cinq ou six fois dans son existence, il s’est risqué, par extraordinaire, à parler de ce qui pour lui est l’essentiel, il s’est à chaque fois, et chaque fois de manière inattendue, heurté de plein fouet à un mépris, une arrogance, une désinvolture, une condescendance, une raillerie, une surdité… Ce que certains lui reprochent – reprochent donc à sa peinture et à sa littérature –, c’est de parler (quand il parle ! car la plupart du temps il s’exprime précisément par le dessin et l’écrit) de ce qu’il ne faut pas : ce pour quoi la vie vaut d’être vécue. Dès que les choses intimes paraissent, tout le monde s’esquive, tourne le dos, ou les prend à la grosse rigolade, ou encore laisse tomber un silence vertical, plus exactement un mutisme. C’est comme si l’on reprochait à un homme et une femme les mots qu’ils se disent pour s’avouer leur amour. D’ailleurs l’amour est tabou : à croire qu’il est devenu sale comme était considéré jadis le sexe, devenu quant à lui à la mode, ce qui ne le rend pas plus propre pour autant, sauf à le laver, le reste à l’avenant, mais alors c’est pour lui coller couleurs et odeurs soi-disant aphrodisiaques plus sales que la susdite saleté. Bref. Brémond garde donc le silence. On peut cependant l’écouter, autrement dit le regarder dans son œuvre, et si celle-ci nous émeut ou nous “parle”, alors on peut être sûr qu’il s’agit de la beauté du silence.

Car le moindre de ses dessins, la moindre de ses peintures continuent à dire ce qu’il ne faut pas, ce qu’il est convenu de garder pour soi, ce que tous les bavards qui causent sans pudeur et à satiété d’argent, de savoirs, de techniques, de politique, de théories, de voyages aux antipodes ou de surfine érudition, appellent de l’impudeur.

Sans arguer du sujet d’un livre, d’une partition, d’une peinture, toute œuvre est premièrement une confidence. Nous mettons naturellement à part les ouvrages didactiques, d’histoire, etc. Et une confidence presque toujours à ne pas mettre sous les yeux de n’importe qui : une confidence qui touche aux secrets des entrailles. On pourrait dresser ici une liste de ce genre d’œuvres, elle remplirait aisément toute la page. Mais à quoi bon ? On sait tous qu’en écoutant une sonate de Caplet ou Bartók, qu’en lisant un poème de Louis Guillaume ou de Marina Tsétaïéva on écoute un cri du cœur, des mots d’amour et de mort… Or ces musiciens et ces poètes font preuve d’une extrême pudeur. Eh bien les tableaux de Brémond, quelle que soit par ailleurs la qualité picturale, sont pareillement des confidences extrêmes d’une extrême pudeur.

Tout ceci explique – sans doute qu’en partie – pourquoi nombre de personnes persistent à regarder, à écouter, à lire, à penser, à sentir en faisant des pieds et des mains pour se les mettre devant les yeux, les oreilles, le cerveau et la sensibilité. Tranchons le mot : devant l’humanité qu’elles sont, et à qui elles ne veulent pas qu’on parle d’amour autrement qu’en termes académiques, ou si l’on préfère, en termes à la mode, ou conformes aux us et coutumes, ou convenablement modernes. Mais tout cela revient au même.

Un mot caractérise la personne et l’œuvre de Brémond : la discrétion. Ses amis, qui le connaissent, ne s’étonnent plus de le voir s’effacer avant l’heure, au lieu de se mettre en valeur comme font tous ses confrères. Pour ma part, il me suffit de le regarder se comporter, pour comprendre et pouvoir affirmer que cet atypique n’est tel que par la nécessité (si ce n’est même le destin) d’être conséquent avec ce qui le fait vivre et qu’on voit vivre dans la plus modeste de ses peintures.

 

 



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25 juin 2009 4 25 /06 /juin /2009 06:08


Le soir est très vert ; il prend toute la place. La terre est grise, à bout touchant. Un pré s’étend, étang vert-de-gris, enfant du soir sur la terre. Il fait frais, il fait triste, il fait beau et bon. Les arbres sont des silences lumineux enracinés dans la paix. On les écoute ; leur voix, qui vient de loin, nous touche de si près qu’on tend la main pour toucher leur figure : c’est la figure de proue de la nuit qui ne vient qu’en chemise de nuit blanche. Aquarelle. 
            Entre chien et loup. L’air est lourd comme la terre pleine d’ombres. Tout est tellement immobile que le temps n’ose plus couler. On entendrait tomber un grain de sable. Les arbres dorment debout comme les chevaux de trait remis au pré. Leurs silhouettes massives fait un alliage de bronze avec la forêt sur laquelle elles s’appuient. Il n’y a pas de lune, pas d’étoiles, il n’y a rien que l’odeur légère de l’herbe à l’instant foulée. Lavis.

 

 

C’est un pommier courbé par un ciel d’étain mat. Sous les branches et les feuilles l’herbe grise est jaune comme la corde vocale d’un violon souriant au crépuscule. Il n’y a pas d’ombre ; toute la vie est là. Elle ne fait pas même un signe de tête. Elle est ténue, grise et jaune comme l’herbe sourit. C’est la nôtre, mais calme. Sépia.

Trois “vues imprenables” de vingt-quatre centimètres sur seize. Avec elles, on peut voyager loin et longtemps, sans arrêt, tour du monde après l’autre sans jamais rencontrer une âme morte. On reste trop près des roses familières, des non-dits indispensables, des pensées fanées et des choses chéries pour s’imaginer croire sur parole l’espèce de fagot d’épines qu’on est neuf fois sur dix pour soi et pour les autres, et qui prend ses raisonnements pour argent comptant, raison d’être fier, etc. Là, dans ces trois fois vingt-quatre centimètres sur seize, l’âme est vive, on peut la prendre pour femme.

Pour écrire cette aquarelle, ce lavis et cette sépia, j’ai utilisé plusieurs textes de Guy Brémond, de sorte que l’on peut faire fond sur ces trois rédactions ; elles sont en outre assez suggestives pour vivre un peu de la vie du peintre, prise sur nature. 

 

Un poème de PO Kiu-yi (772-846), exprime tout à fait la pensée et la vie de Guy Brémond :

 

L’air est lent : tantôt j’affleure, tantôt j’appuie.

Quelques sons se perdent dans la profondeur de la nuit.

 

Pour l’oreille, cette musique manque de saveur ;

Mais, discrètement, elle émeut le cœur.

 

À mon gré je joue, à mon gré je m’arrête ;

Et je ne tiens pas que l’on m’écoute.

 

 



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24 juin 2009 3 24 /06 /juin /2009 05:53


 

           Guy Brémond pourrait vous conduire plus sûrement que moi ou Vartore, là où infailliblement chacun trouverait ce qu’il cherche (ou pas !), au su ou à l’insu de chacun. À moins de se destiner à la fuite en avant dont l’aboutissement ne fait aucun doute, qui ne désire pas trouver (en soi-même, bien entendu) cette miette, ce rien d’émerveillement sans lequel la vie meurt en se rabougrissant ?

Il ne s’agit naturellement jamais de l’ambition molestatrice, celle qui s’enorgueillit d’un avoir, d’un savoir, d’un pouvoir, mais toujours d’une larme d’existence positivement brûlante. Qui peut être ce que Bachelard le poète appelle les rêveries d’enfance, ces extrêmes audaces impassibles, ces sérénités intrépides, ces immobilités dans la pépinière du silence… Qui ne sont parfois que la vue d’une luisance sur un meuble ciré ; un bruissement de feuilles ; une étendue d’herbe sous le vent ; une lèche de soleil rose sur le crépi d’un mur nu… Autant d’invisibles spermatozoïdes qui en pénétrant le cœur de l’être, fécondent et font naître un bonheur qui nous persécute comme une douleur prévient d’un mal. Des petits riens qui déclenchent un besoin heureusement incessant.

 

« Presqu’île de sa vie, son enfance est une éternité qu’on boit dans le verre à liqueur de sa mort. […] »

© Guy Brémond dans Récitatif

 

D’une peinture dolente, une joie souvent éclot. Une peinture vient souvent au monde à partir d’une nanomiette, une impression, une sensation… Et c’est le Voyage d’Hiver, ou bien Un cœur simple. Ce qu’on écoute alors, ce qu’on regarde ou lit est soudain si évident qu’on s’engouffre dans cette simplicité sans même s’apercevoir qu’il s’agit de soi-même. Et lorsque l’on a terminé de regarder le dessin, d’écouter la musique ou de lire le poème, on continue à chercher cette berce d’émerveillement que l’on quitte à l’instant.

Mais pour ne pas réintégrer toutes les épaisseurs cérébrales, toutes les compacités intellectuelles, pour ne pas se réinstaller dans ce permafrost qui précisément dope et dupe, force est de ne pas se cacher derrière son petit doigt. L’instrument le plus efficace pour résister à ce genre généralisé d’asphyxie, c’est encore le petit tableau dont on a eu la précaution de se munir. Il suscite la nostalgie de la beauté et interdit donc toute velléité de vouloir jouer au plus fin. En revenant à lui on revient à l’essentiel.

Guy Brémond, en offrant sa peinture à qui n’est pas ou plus entassé dans la prétention, permet d’effectuer ce voyage en solitaire. 

          

 

          

 

 



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23 juin 2009 2 23 /06 /juin /2009 07:02


           Les arbres et la terre sont le seul univers qu’il peut peindre les yeux ouverts, sans craindre d’avoir à les fermer comme on les ferme à un mort par la survenue d’une laideur dont le vice est un sadisme. La laideur jouit de la torture qu’elle inflige. Or la laideur a toujours un auteur, une espèce fort répandue de loup-garou, un affreux lupus – Homo homini lupus –, une maladie de la peau qui a gagné le cerveau.

En s’installant à l’âme-hors-les-murs, Guy Brémond s’est mis hors d’atteinte. Sans avoir besoin de vaccin ni de télescope : sa vue de Sirius joint à son regard de gelée royale lui permet d’être proche jusqu’à l’intimité et lucide jusqu’à la vérité sans fard.

Tous ses portraits – de paysage, d’homme, de femme –, a fortiori tous ses autoportraits, révèlent jusqu’à l’explicitation de l’épure cette exigence de l’amour, avec exposant puisqu’il s’agit, répétons-le, d’absolu.

 

« Le chef-d’œuvre d’un peintre

est son regard impénitent,

où flamboient plus d’ombres

qu’en son œuvre.

 

Ici, excès et mesure,

chacun boudant contre soi-même,

ont concilié leurs dons pour mettre à nu

un indomptable visage. »

 

Gabriel Vartore-Néoumivakine, sur un autoportrait de Guy Brémond (paru dans Verso, n° 115).

 

La terre et les arbres, la chair et le marbre, voilà donc tout l’univers de cet homme que désormais, combien ? trois, quatre amis tout au plus, connaissent, ont appris à connaître de telle sorte qu’ils savent en le regardant combien d’humanité il a mis et met encore dans les mots qu’il écrit, dans les peintures qu’il accomplit. Au lieu d’humanité on pourrait dire spiritualité, mais ce serait un peu chipoter sur les termes alors que l’essentiel reste l’homme. Dans “Noria”, il décrit ainsi la spiritualité activement vécue :

« En quatre enjambées, il se désembourbe de l’espèce de lotissement au milieu duquel est plantée la “fortune du pot”, maison neuve parmi les autres. Puis, dans un jour tard venu et bas sur de grandes cultures, il traverse, en y suivant de fines routes sans fin, cet immense espace découvert qui le met à la merci de n’importe quel regard. Il s’en effarouche. Heureusement, des haies, brèves mais denses et providentielles, longent parfois des pâtures spongieuses à chevaux moins de trait que de selle. Ou bien ce sont de longs taillis courts de taille qui bordent le trimard. Des bois broussailleux à tiges tortes font parfois des îles au milieu de cet océan vert, bossué de vagues collinaires derrière lesquelles s’élèvent, en déployant leurs vastes draps de lit blancs, des ciels de majesté sur fond de teint noir. À moins que ne jaillisse de la croupe d’une terre bise, dressé vers l’au-delà, un doigt de clocher fin à l’ongle d’ardoise bleue. »

D’une manière générale, les œuvres dites sacrées (littéraires, picturales ou musicales) ont souvent bien moins de spiritualité que celles que l’on qualifie de profanes. Mais peu importe, cracher dans l’eau pour faire des ronds a toujours très occupé les herméneutes de tous poils, ce qui n’est pas notre propos puisque nous en sommes à Guy Brémond. Qui d’ailleurs ne pipe mot. On parle pour lui, pour que le meilleur de lui-même ne reste pas lettre morte, c’est-à-dire esprit mort, beauté morte, amours mortes.

Je l’ai dit en commençant ce voyage : malgré mon amitié, je ne saurais remplacer sa peinture. Elle se suffit à elle-même, et il suffit de la regarder pour se sentir invinciblement augmenter du poids d’une âme.

 

            « Dans l’ombre une chair blanche. Un bouleau se penche. Ses doigts de lait cru grêlent sur le clavier laineux de la nuit.

– Regard de l’eau entre ciel et terre. Solitude sertie par deux lèvres aussi nues que deux seins d’abeille. Soir frais beurré de silence. Beauté ajourée de tes jours d’errance. Une lampe rassure, une lampe attend sous la paupière de tes dentelles.

D’un rameau roux le bouleau dans l’ombre a l’art de toucher le clavecin.

– Ton visage est levé comme une main tendue et ta vie se tisse au soir de haute lisse : feu brodé au point de tige ; bris de braises roulées sous ta neige ; roucoulement fou d’oiseau emplumé dans ta cage… Le cristal de tes lèvres dorlote mon sourire. Ta lampe est le velours blanc du crépuscule.

           Quelle angoisse a peint ce cartel de fleurs pimpantes sur la porcelaine de ma mémoire ? »

 

© Guy Brémond, dans presque lent

 

 

 



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